Joanne, la joyeuse embardée country de Lady Gaga

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Que celui ou celle qui n'en veut pas un tout petit peu à Lady Gaga lève la main. Ouais, la garce nous a encore fait faux bond : la pop ne sera pas sauvée en 2016 par le nouvel album de la Germanotta. On l'avait vue venir avec "Perfect Illusion", on sentait bien que les club bangers, les dépressions nerveuses, les robes en viande et les vidéos scandaleuses n'allaient pas revenir de sitôt. Et effectivement, Joanne est un album country, lâchons le mot, un gros mot pour pas mal des lecteurs de ce site, une injure, une trahison presque. Mais c'est aussi un très beau disque, lumineux, accrocheur, qui accueille l'auditeur à bras ouverts, avec des mélodies incroyables, une chaleur sans pareil dans le paysage pop, plus torride que toutes les rengaines tropicales de la FM.

 

Lady Gaga ne sauvera pas la pop, parce qu'elle s'en fout. La pop, et le public pop, ne l'ont pas sauvée elle, au contraire. Elle a quitté le game avec ARTPOP, les critiques assassines, le burnout qui pointe son nez, et elle a payé le prix fort pour avoir poussé le curseur pop un peu trop loin. Lady Gaga en a eu marre de nous. Parce qu'on lui reprochait de chasser sur les terres de Madonna, tout en lui reprochant également de ne PAS être Madonna, ni Beyoncé. Trop artiste pour les cagoles, pas assez artiste pour les hipsters, trop plouc pour les uns, trop gay pour les autres, trop dark ou trop superficielle, trop authentique ou pas assez, Gaga voulait plaire à tous ceux qui ont acheté The Fame, tout en restant elle-même. Or, c'est toujours délicat de contenter 15 millions de personnes à la fois.

 

La Mother Monster a pris le large. Et c'est pour ça qu'on la déteste un peu aujourd'hui. Car elle s'est offert un luxe qu'on ne peut pas se permettre. Quitter son job et se barrer loin, avec les gens qu'on aime. C'est de cela qu'il s'agit avec Joanne. Lady Gaga a laissé la pop music dans l'état lamentable que l'on connait actuellement, parce qu'elle a tout simplement abandonné son poste de popstar. Elle aurait pu se reconvertir dans le jardinage comme Kim Wilde à une époque, ou dans la gestion de patrimoine pop comme Britney Spears aujourd'hui. Gaga s'est lancée dans une carrière provisoire de chanteuse country. Pourquoi ? Parce que le public pop est le public le plus ingrat qui soit.

 

 

Le consommateur de pop en 2016 est devenu aussi snob et indécis que les hipsters dans les années 2000. On exige de nos popstars qu'elles soient respectables, innovantes et qu'elles nous fassent briller dans les dîners. Tout ce que la pop n'est pas : la pop, c'est avant tout un truc de ploucs, un peu craignos, un peu ringard, un peu simpliste. Et nous, on fantasme sur les gens qui écoutent des trucs compliqués, des trucs "bien produits", et on hérite aujourd'hui d'une pop devenue lisse, minimale, bourgeoise et hétéro. On réclame de la bitchy pop, mais pas trop efféminée hein. On se plaint du manque de fun, on se dit "la pop c'était mieux avant", mais si Lady Gaga était revenue avec un nouveau "Bad Romance", on aurait trouvé ça so 2009. Eh ouais, qu'est-ce qu'on est chiantes.

 

Joanne est donc un album de vacances. De vacances du barnum pop qui ne lui apportait que des emmerdes. Installée dans un studio au fin fond du désert californien avec quelques potes musiciens, et non des moindres (Mark Ronson, Kevin Parker, Beck ou BloodPop), Gaga a composé un disque à l'opposé total du zeitgeist. Des ballades country, du rock pour bikers, du reggae idiot, avec d'énormes refrains naïfs et touchants, qui parlent de famille, d'amitié, de compassion, de virées entre copines et (aussi quand même hein) de sexe avec soi-même. Joanne est un disque qui réussit l'exploit de sentir la bière tiède, les paquets de Marlboro, le cambouis, le cuir et la vieille chaussette, tout en étant d'une sobriété et d'une classe dingues, d'une douceur inhabituelle (même si la nana adore toujours nous souffler dans les bronches par moments) : des qualités intrinsèquement féminines.

 

 

Joanne donne envie de s'arrêter dans des bars de cul terreux du Nevada pour s'avaler des tacos et boire de la Bud dans des chopes réfrigérées. Mais, loin d'être un énième caprice de popstar en mal d'inspiration, ce disque va bien plus loin plus qu'un simple album concept où le décorum (les santiags, les blousons à franges et les arrêts pipi dans des saloons miteux) ne ressemble pas à une attraction de Disney. Ici, les mélodies sont d'une simplicité désarmante et d'une beauté éclatante (la chanson "Joanne", le refrain de "Diamond Heart"), les arrangements sont princiers ("Hey Girl") et les moments fun volent au dessus de toute la bouillie tropicale du moment (le très No Doubt "Dancin' In Circles").

 

Alors, les plus jeunes de ses fans vont avoir du mal à accrocher : trop de guitares, trop de bons sentiments (les ballades "Angel Down" et "Grigio Girls" restent un peu sur l'estomac), une absence alarmante de beats déstructurés et de marimbas en goguette. Mais Joanne est un disque qui plaira à ceux qui n'ont pas peur de marcher dans la boue et de salir leurs Stan Smith. Un album où l'on peut voir une femme qui nage en plein bonheur, loin des mesquineries et des clashs de la pop pour twittos, et qui, comme on a pu le voir lors de ses concerts du Dive Bar Tour, prend un pied incroyable et sincère à simplement taper le boeuf avec ses amis musiciens.

 

L'avenir commercial de Joanne ? Difficile à anticiper. Il y aura ceux qui l'aimeront pour de mauvaises raisons (le côté "authentique", vrais instruments, on connait par coeur les bails de ces casse-couilles de puristes), et ceux qui le détesteront aussi pour de mauvaises raisons ("Mais où sont les tubes bitchy, Gaga c'était mieux avant...", "Ca, de la country ? Réécoutez Dolly Parton les gars"). Bref, il va peut être avoir du mal à trouver son public, et beaucoup vont galérer à comprendre ce que renferme ce disque. Mais Gaga s'en fout. "At the end of the day, who I really and truly am is a little girl who loved to play the piano". Etre fan, c'est aussi souhaiter le meilleur aux artistes qu'on aime, non ?