L'album de Beyoncé, mégalo ou méga love ?

beyonces self titled visual album goes platinum

Beyonce previews 17 new music videos after shock album release

Le retour surprise de Beyoncé aura au moins appris une leçon aux journalistes et aux blogueurs : ne jamais faire un bilan de l'année début décembre ! Alors que c'était plié pour tout le monde, Beyoncé allait être absente des rétros 2013, voilà que Madame déboule avec son "album visuel" et prend tout le monde de court. Depuis, c'est l'hystérie. Avec près de 830 000 "albums" vendus en trois jours, Queen B a réalisé le hold up parfait et aura une bonne raison de se boire une petite coupette à la Saint Sylvestre.

 

Les critiques, les fans, et les internautes en général sont unanimes (ou presque) : le truc est un chef d'oeuvre, volant bien au dessus de la basse-cour des divas pop de 2013. Seulement voilà : de pop, il n'est que rarement question sur BEYONCÉ. Si l'idée de balancer sur iTunes sans aucune promo un album illustré de 17 vidéos est une idée on ne peut plus novatrice et bluffante, c'est peut être pour masquer la vraie faiblesse de Ms Carter : les tubes mainstream pop chorégraphiés et fédérateurs qui se sont enchaînés durant sa déjà longue carrière sont aux abonnés absents sur ce projet. Et alors ? Et alors, pourquoi pas, pourquoi ne pas tenter une autre voie, expérimenter, produire des choses plus complexes, moins évidentes, plus fouillées ? Beyoncé peut se le permettre après tout. Sauf que, pas vraiment en fait.

 

 

Lorsqu'on démarre le visionnage de ces 17 vidéos, on ressent une sorte d'excitation bien légitime. La crème des clippeurs stars a été conviée sur le projet, à commencer par la géniale Melina Matsoukas, qui a le privilège de démarrer le grand Beyoncé Show avec "Pretty Hurts", une Sia ballad au message féministe puissant, dénonçant la cruauté de ce qui attend les pauvresses des concours de miss. De féminisme il sera en effet beaucoup question tout au long du disque. Mais un féminisme à la Beyoncé : je me laisse peloter les loches par mon alcoolique de mari sur la plage (Jay-Z ne se sépare jamais de son verre de vin durant ses brèves apparitions), je recycle de vieux sextos éventés pour composer mes lyrics, je joue les épouses cochonnes. Avec Bee, le féminisme se résume essentiellement à montrer son corps de femme, de mère, d'épouse, certes, mais surtout de bonnasse multimillionnaire.

 

 

Il y a 17 clips sur BEYONCÉ, et Beyoncé apparait sur 17 d'entre eux. La seule partie du projet où elle n'est pas à l'image sont les end credits. Et alors que la belle nous donne à voir son corps sous toutes les coutures, on a paradoxalement le sentiment qu'elle ne nous montre rien. Il y a des tonnes de clins d'oeil, de délires visuels, et beaucoup d'extravagance, de badasserie et de séduction. Et pourtant, il se dégage de tout cela un manque incroyable de générosité. La musique est surproduite, mais souvent froide, déstructurée, sans refrains, sans mélodies, avec un goût d'inachevé. Et on ressort souvent de ces clips avec le sentiment d'avoir assisté à un délire mégalo esthétisant. Car le sujet préféré de Beyoncé, c'est Beyoncé. Au bout d'une heure et quart de visionnage, l'absence totale de storytelling et de connivence avec le spectateur se fait cruellement sentir. On a souvent l'impression d'avoir été invité à une fête de riches et de sentir constamment le fossé culturel qui te sépare de ce couple de nantis coupé des réalités du monde, et qui te montre sans pudeur, indifféremment, des photos de ses gosses ou leur dernière sextape. Et Beyoncé de t'expliquer que tout n'a pas été facile pour elle, parfois elle a perdu à des concours de télé-crochets quand elle était gamine, d'où son furieux appétit de gloire et de revanche. On a compris le message, d'ailleurs c'est le seul du disque et de toute sa carrière, donc on a bien eu le temps de l'assimiler.
Bien sûr, on est au courant de cet aspect du personnage de Beyoncé, ce côté robot guerrier que l'on retrouve quand elle est en tournée, sur scène, et on s'y est habitué. Le souci, c'est que tout ça apparait au final un peu vain. Et très, très prétentieux.

 

 

Il y a, malgré tout, de très beaux moments sur BEYONCÉ. Le clip de "Partition" est peut être la seule incartade fun, où la chanteuse se laisse grave aller dans le salace. "Flawless" est un grand grand morceau jouissif et émancipateur que seule une maousse diva comme Beyoncé pouvait camper avec autant d'aplomb. La vidéo et la chanson "Jealous" sont une respiration sensible, un moment où B ne confond pas intimité avec déballage impudique. Et au final, alors où on s'attend à lever les yeux au ciel, exaspérés comme on peut l'être quand des amis t'inondent de photos de leur gosse sur ton mur Facebook, le titre "Blue" étonne par son émouvante douceur. Il y a aussi "Blow", le morceau estival et supergroovy sur lequel on a envie de rollerskater en apesanteur comme si demain n'existait pas. D'ailleurs, au milieu de la fête, on y aperçoit Solange. A ce moment-là, il nous prend soudain l'envie de laisser en plan sa frangine chiante et donneuse de leçons qui adore s'écouter parler, pour aller s'amuser avec la plus jeune, qui a l'air bien plus simple et abordable, et qui semble avoir des amis plus drôles.

 

 

BEYONCÉ est une expérience immersive, et comme c'est souvent le cas dans ce genre d'entreprise, on ne peut qu'avoir de l'empathie pour la popstar qui s'y attèle. En interview, la chanteuse évoque son souvenir du clip "Thriller" de Michael Jackson, les émotions qu'un tel projet laisse au spectateur, au fan. Et même si elle n'arrive pas à la talonnette d'un MJ quand il s'agit de raconter des histoires, on ressort de BEYONCÉ sans doute un peu plus "inspiré" comme disent les ricains, et avec l'agréable souvenir d'un voyage musical plutôt excitant. Il y a certes une direction artistique bien mieux maîtrisée et cohérente que sur un ARTPOP, par exemple. Mais qu'est-ce que ça manque de fun... Ce qu'on aime chez une popstar, c'est aussi sa part de folie, de maladresse, d'humanité, cet équilibre précaire entre la grâce et le ridicule qui fait toute la saveur d'un beau projet pop, des choses que l'on retrouve aussi bien chez Lana, Britney, Miley, Katy ou Gaga, mais certainement pas chez Beyoncé. BEYONCÉ est un très très bon clip, mais un bien méchant disque, trop sérieux, trop dark, trop exigeant, pas assez généreux, pas très abordable. Un disque de gosse de riches, un album à l'image des résidences secondaires de la famille Carter : vaste, mais plein de courants d'air. Mais on ne prête qu'aux riches et on ne respecte que les puissants, c'est peut être pour ça que cette oeuvre bancale et clinquante, ce tour de force insensé d'une chanteuse coupée des réalités de la pop, comme le sont déjà ses amis Justin et Kanye, séduit tant le grand public. On aimerait tous être Beyoncé. Mais on n'est vraiment, vraiment pas obligés de se coltiner un tel disque.