Melodifestivalen 2017 : quand la pop suédoise se prend les pieds dans le tapis

article Robin Bengtsson melfest 2017

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Pour son édition 2017, le Melodifestivalen (Melfest pour les intimes) avait mis les petits plats dans les grands. Le télé-crochet géant qui permet au public de choisir la chanson qui représentera la Suède lors du concours de l'Eurovision avait une affiche plutôt alléchante. Parmi les artistes présents dans la sélection de 28 titres : Loreen (gagnante de l'ESC en 2012 avec "Euphoria"), Ace Wilder (presque gagnante du Melfest en 2014 et depuis énorme star locale) mais aussi les jeunes machines à tubes Wiktoria, Lisa Ajax ou le boyband FO&O (les One Direction scandinaves). Tous ces noms ne disent pas forcément grand chose aux non-initiés (l'Eurovision reste encore une oasis de pop décomplexée et haute en couleur - gay, quoi), mais ne vous y trompez pas : on est face à des blockbusters de Spotify, des bêtes de scène prêtes à en découdre. En 2017, les Suédois ne plaisantent toujours pas avec le grand concours européen de la chanson (et de la choucroute), sauf que cette année, quelque chose a salement déconné au royaume du refrain qui tue.

 

Il faut savoir que le show du Melfest s'étale sur 6 semaines. Chaque samedi, on envoie 7 chansons au casse-pipe, avant ce qu'ils appellent la soirée Andra Chansen (une session de repêchage pour quelques titres) et la finale, qui s'est déroulée samedi dernier. C'est l'occasion pour la première chaine suédoise, la SVT, de démontrer sa puissance de frappe (souvenez-vous l'incroyable show de l'ESC l'année dernière). Sauf qu'après avoir organisé l'Eurovision à domicile, peut être que les budgets et l'énergie déployés ont dû être revus à la baisse ? Car pour cette édition 2017, tout ce qui faisait le succès des primes du Melfest en dehors de la sélection, à savoir les sketchs et les interludes musicaux, ont été décevants. On se rappelle par exemple de l'impressionnant staging de Loreen, venue présenter son titre "Paper Light" avec les danseurs ukrainiens de Kazaky en 2015. Ou encore du medley des enfers de l'année dernière, ou ce sketch hilarant signé Sarah Dawn Finer dans son personnage de Lynda Woodruff en RP débauchée de l'Eurovision. Des moments cultes dont les fans raffolent et qui créent un sentiment de joyeuse proximité avec un concours local qui ne nous concerne pourtant que de loin. Mais cette année, rien de tout ça hélas. Les séquences humoristiques tombent à plat, les animateurs manquent de charisme, les intermèdes sont gênants. Et pour ne rien arranger, la sélection elle-même, malgré les noms prestigieux, manque de vrais tubes. Revue des troupes et des titres phares de cette année.

 

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La chouchou du Melfest : Ace Wilder

 

C'est sa troisième participation au concours et à chaque fois, elle se retrouve en finale mais rate de peu la première place. Ace Wilder doit toute sa carrière locale au Melfest : c'est là qu'on l'a découverte, c'est sa plateforme promotionnelle permanente (quand on sait qu'un suédois sur deux regarde la finale, ça laisse songeur) et à chaque fois, ses tubes feel good ("Busy Doin' Nothin'", "Don't Worry") laissent une bonne impression au public. Le titre en lice cette année, "Wild Child", est un gros tube de pop Disney, qui aurait fait la BO idéale d'un reboot du Livre de la Jungle. Dansant et coloré, mais pas suffisamment accrocheur pour partir à Kiev en mai prochain. La quatrième sera la bonne ?

 

 

La country girl de l'étape : Wiktoria

 

Wiktoria était déjà là l'an passé avec "Save Me", qui avait fait son petit effet sur le public, lui assurant un début de carrière plutôt confortable. Wiktoria, c'est un mélange entre la Taylor Swift époque Nashville pour l'attitude, et Christina Aguilera pour le look pageant girl, redneck diva des débuts. C'est la gentille fille à l'image lisse comme une peau de bébé. C'est elle qui a doublé Vaiana pour la version suédoise du dernier Disney, par exemple. "As I Lay Me Down" est un vrai tube mignon (sans doute le meilleur de la sélection), sur lequel la chanteuse peut déployer tous ses skills vocaux, avec un refrain très europop qui rend instantanément heureux. Les bookmakers la donnaient gagnante : le titre réalise en ce moment des scores vertigineux sur Spotify. Pourtant, ce ne sera pas encore pour cette fois.

 

 

Le boyband des 90's : FO&O

 

Ils s'appellent Felix, Oscar et Omar, et sous le nom de The Fooo Conspiracy, ils ont été les poster boys de toutes les pré-ados scandinaves. Ils étaient 4, ils sont désormais en trio et ont dû changer de nom car le fan club des Foo Fighters leur pourrissait la vie. FO&O, ce sont des tubes en pagaille depuis 4 ans, mais c'est surtout une machine à remonter le temps, vers l'âge d'or des boybands Backstreet Boys et *NSYNC. Pour leur première participation au Melfest, beaucoup pensaient que leur fanbase très active allait leur assurer la victoire. Ce ne fut pas le cas. Beaucoup considèrent que "Gotta Thing About You" est de loin leur morceau le plus ringard, mais ce ne sont que de gros snobs, ne les écoutez pas. Ce titre est une tuerie à la fois grandiose et grotesque, et si nous étions en 1999, il serait actuellement numéro 1 mondial. Avec leur petite choré trop mimi et les boucles sautillantes du petit métis (Omar Rudberg, le chouchou des réseaux sociaux), on est sur du "pure boyband gold", tant visuellement que musicalement.

 

 

La popstar de poche : Lisa Ajax

 

Lisa Ajax, révélation du Melfest l'an dernier avec "My Heart Wants Me Dead", passe à la vitesse supérieure cette saison avec "I Don't Give A". Cette ex Swedish Idol a désormais 18 ans et jouit d'une énorme popularité dans son pays. Arrivée en finale, sa chanson est un bonheur pour toutes les mères de famille qui vont entendre leurs gamins fredonner "I don't give a fuck what the others saaaaaay" dès que le titre passera sur Spotify (oui, en Suède Spotify a remplacé la radio depuis des années, et peut être qu'un jour Spotify remplacera les suédois eux-mêmes s'ils ne se méfient pas). Malheureusement, le refrain a beau faire de son mieux pour bomber le torse et tenter de ressembler à un hymne, il reste nettement en dessous de celui de "My Heart Wants Me Dead".

 

 

La révélation sadface : Nano

 

Nano, c'est un tout nouveau chanteur de soul r'n'b, un artiste urbain dont personne n'avait entendu parler avant le Melfest. Il fait partie de la grande tradition de ceux dont le concours a lancé la carrière. Nano, c'est typiquement le favori de ceux qui détestent le côté trop pop de l'Eurovision. Vous savez, ces grosses chiantes qui réclament des chanteurs authentiques, avec une histoire à raconter, si possible un background bien poignant pour faire pleurer dans les chaumières. Nano coche ici toutes les cases, sa chanson est totalement épique, seulement voilà : "Hold On" ressemble tellement à un mashup finement calibré, à mi-chemin entre Rag'n'Bone Man et Rudimental, que la magie s'évapore sitôt qu'on aperçoit les trèèès grosses ficelles du truc. On ne se fait aucun souci pour lui : Nano a le profil de la bête de concerts, et le Melfest va lui assurer un très large public de jeunes festivaliers à la recherche de cette "authenticité".

 

 

La bonne perdante : Loreen

 

De retour après le triomphe "Euphoria" en 2012, Loreen semblait presque en terrain conquis. Elle n'était peut être pas venue pour gagner, mais elle voulait quoi qu'il arrive laisser une trace dans cette édition 2017. Toujours un peu aux abois (son deuxième album n'est toujours pas annoncé), la dark prêtresse des enfers n'avait rien d'autre à "vendre" qu'un nouveau titre très engagé, "Statements". Avec un staging totalement habité, aussi poignant que flippant, Loreen balance tout ce qu'elle a sur un beat electro rock censé exprimer toutes les frustrations contemporaines (vous savez, le gars orange, la montée des extrêmes...). Passés la stupeur et l'effroi (difficile de se plonger là dedans juste après une ribambelle de tubes dance en plastique), le titre vaut surtout pour la performance vocale proprement stupéfiante. Loreen est une grande guerrière pop, et elle l'a prouvé lors de son passage. Pourtant, ça n'a pas suffi à lui conserver une place en finale. Repêchée de justesse pour Andra Chansen, elle perdra contre un jeune clone de Shawn Mendes dont personne n'a jamais entendu parler, Anton Hagman, déclenchant la colère des internautes. Et c'est là qu'on commence à voir les limites de la joyeuse démocratie pop du Melfest : à force de proposer du feel good et des paillettes au kilo, on en vient à voter pour des artistes jetables et interchangeables sur la simple foi d'une chanson et d'une choré un peu cool. Ce qui nous amène à parler du gagnant de cette année...

 

 

Le winner : Robin Bengtsson

 

Robin Bengtsson est un beau gosse, et il semble que ce soit désormais une condition sine qua non pour remporter le Melfest (du moins, depuis les victoires de Frans et Mans Zelmerlöw). A 26 ans, ce jeune chanteur est lui aussi issu de Swedish Idol, mais on le soupçonne d'avoir également participé au concours du sosie officiel de Mathieu Gallet. Je ne prétends pas que c'est la même personne, je dis juste qu'on n'a jamais vu Robin Bengtsson et le PDG de Radio France dans la même pièce. Il est très bien coiffé et bien habillé ce Robin, et c'est sans doute un gentil garçon, c'est juste dommage que la chanson sélectionnée pour l'Eurovision soit à ce point insipide. "I Can't Go On" est un titre qui semble avoir été fabriqué par des algorithmes Spotify pour plaire au plus grand nombre. Chic et toc comme son costard sur mesure, le morceau pourrait être la bande-son d'une petite surpatte au bord de la piscine avec Justin Timberlake, Bruno Mars, Zayn Malik et Eric Saade. De la musique de bogosses quoi. Le succès du titre doit également beaucoup à son staging déjà légendaire : tout repose sur une chorégraphie où Robin est accompagné de danseurs sur un tapis de course. Vous savez, ceux qu'on trouve à la salle de gym où l'on ne va jamais et qui nous rappellent de mauvais souvenirs de kilos à perdre après les fêtes. Ce tapis roulant qui nous ramène aux heures les plus sombres de l'esthétique golden boy des années 80, quand de jeunes cadres supérieurs ivres de sport, d'argent et de santé nous expliquaient le plus sérieusement du monde que la coke rendait plus productif. "I Can't Go On", c'est le pire des années Reagan, pour ambiancer le pire à venir des années Macron. Robin Bengtsson a gagné le Melfest, c'est normal : c'est un winner. Mais pas sûr que la pop scandinave y gagne grand chose en retour...