Pourquoi ça floppe ?

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Jamais une cérémonie des NRJ Music Awards n'aura fait couler autant d'encre. Les résultats de l'édition 2011 ont mis les organisateurs dans l'embarras, et les professionnels de la profession sont furax. Comment diable est-il possible que des artistes dont l'album a floppé (en l'occurence, Jenifer et M Pokora) puissent remporter tous les trophées au nez et à la barbe des superstars des ventes (Farmer, Christophe Maé, Zaz)? Tout serait truqué, on nous aurait menti ? Peut-être bien. Mais tout n'est pas si simple.

 

NRJ est une radio qui reste globalement écoutée par un public jeune. Ces ados aux moeurs étranges qui n'hésitent pas à dépenser 10 euros de hors forfait pour obtenir une vidéo de René la taupe se grattant l'imposant arrière-train sur leur portable, mais qui sont révulsés par l'idée de lâcher 99 centimes pour un titre sur iTunes. Ces sympathiques branleurs n'en sont pas moins très actifs sur le web, surtout quand il s'agit de partager leurs avis éclairés sur tout et n'importe quoi ("Riana el é tro bel" "t'as craké c une gueunon rihana" "han g tro aimée avatare"). Alors quand leur radio préférée leur demande de voter pour une remise de prix, ils participent en masse pour soutenir tel ou tel chanteur. En général ceux qu'ils entendent sur NRJ toute la journée. M Pokora et Jenifer, multidiffusés, avaient donc toutes leurs chances.

Pourquoi les gens n'achètent pas de disques ?

 

Si nos deux amis Jen et Matthieu ont tous les deux floppés avec leurs disques, ils n'en restent pas moins très populaires aux yeux du jeune public, mais visiblement, pas au point que les gosses se procurent légalement leur album. C'est compréhensible : ils ont des jeux à acheter pour leur X-Box qui coûtent déjà les yeux de la tête, un forfait de téléphone exorbitant, sans compter le budget fringues, le budget clopes, le budget sorties.
Pourtant, si l'on regarde les chiffres de vente des singles et des albums dans un pays comme l'Angleterre, on s'aperçoit que les jeunes, là-bas, ils n'hésitent pas à mettre la main à la poche le jour de la sortie des disques. Les jeunes rosbifs auraient-ils plus d'argent de poche que nous ? Bah non.

 

Le pouvoir des charts

 

En Angleterre, il y a une tradition étrange vue d'ici : les jeunes suivent minutieusement la progression des charts. Ils sont tellement au taquet qu'il y a même le mercredi des "midweeks", un classement qui donne en milieu de semaine l'avancée de tel ou tel disque avant le vrai classement de fin de semaine, suivi par des millions de gens en direct sur Radio 1 le dimanche après-midi. En France, demandez à n'importe lequel de vos amis qui est numéro 1 des ventes, il n'en aura pas la moindre idée. En Angleterre, ils savent, les journaux en parlent, on en discute devant la machine à café.
Pourquoi un tel engouement ? Tout d'abord, l'Angleterre a pour ainsi dire inventé la pop, les charts font partie intégrante du système de promotion de la musique populaire au Royaume Uni, c'est une véritable institution. Une institution avec des rendez-vous incontournables : la semaine de Noël, tout le monde a les yeux rivés sur le classement pour découvrir qui est le Christmas Number 1 (il y a même des bookmakers qui en font un business lucratif).

 

Ce qui fait également la supériorité du système des charts anglais, c'est sa précision et surtout sa capacité à évoluer rapidement : il y a maintenant bien longtemps que le comptage des ventes physiques et digitales est regroupé dans un seul et même classement. En France, on continue à séparer les deux, ce qui brouille un peu les pistes. Les Anglais ont donc depuis toujours un classement précis, officiel, indiscutable, et qu'ils peuvent faire évoluer et voir évoluer à tout moment. Quand les fans de Take That, Katy B ou Bruno Mars savent qu'ils peuvent leur offrir un numéro 1 et une énorme visibilité en dépensant à peine un euro, eh bien ils sortent la carte bleue et vont sur iTunes. D'où des chiffres certes un peu entamés par la crise, mais beaucoup plus élevés que ceux de chez nous.

 

L'attractivité de la musique

 

En France, le classement des ventes physiques démontre que ce sont des vieux un peu largués qui achètent encore des disques : Christophe Maé, Yannick Noah, Zaz ou Les Prêtres cartonnent. Ils ne savent pas utiliser un ordi ou ont peur d'Hadopi. Les jeunes, eux, écoutent Rihanna et Shy'm sur Deezer ou Spotify et ça ne leur viendrait pas à l'idée d'acheter les disques en question. Je lisais l'autre jour sur Tweeter une remarque fort intéressante, d'un gars qui disait que même si les albums étaient à 2 euros, les jeunes continueraient de télécharger juste pour faire chier Pascal Nègre. C'est exactement l'idée : les acteurs du marché en France ont une image tellement rétrograde et déplorable de vieux connards cyniques et pères fouettards qu'un gamin, en réaction à des propos violents à son encontre, continuera à pirater sans vergogne, juste pour emmerder le monde. Il va donc être très dur de renverser la vapeur et d'imposer le modèle anglais, celui d'un public qui soutient les artistes dans une compétition saine et ludique, au sein des charts. Il faudra d'abord penser à vivre avec son temps et enfin rassembler le classement physique, complètement obsolète (qui achète encore des CD 2 titres?) et le classement digital, qui évolue vite. Ensuite il faudra arrêter d'essayer de nous vendre des artistes moisis et populistes, rendre les radios musicales moins frileuses et moins formatées, en gros, il va falloir faire bander les jeunes. Bon courage aux gens des majors du disque, qui continuent à croire qu'en envoyant des lettres recommandées de l'Hadopi, ils vont réussir à régler le problème du piratage. Pourtant, si je me rappelle bien, quand je recevais des lettres d'absence du lycée, ça ne m'empêchait pas de sécher quand même les cours...

 

En gros, pour les acteurs français du marché, il va falloir vivre en 2011. C'est pas gagné.