Chaque année, c'est le rendez-vous des fans inconditionnels de pop scandinave. Le Melodifestivalen (Melfest pour les intimes) est un concours de 6 semaines durant lesquelles une trentaine d'artistes suédois viennent proposer un titre pour représenter le pays lors de l'Eurovision. Véritable institution depuis 1962, cette pré-selection à laquelle même le groupe Abba a été soumise, réalise à domicile des scores d'audience impensables, réussissant à détrôner ceux du concours de l'Eurovision lui-même.
Ces dernières années, le Melodifestivalen était devenu un must pour les amateurs de scandipop, le concours ayant révélé des artistes dont les blogs pop raffolent aujourd'hui (Loreen, Ace Wilder, Alcazar, BWO, Charlotte Perrelli, Agnes, Eric Saade...). Mais cette saison, il semblerait que le public suédois se recentre sur un son qui nous intéresse beaucoup moins que les club bangers et les power ballads dont ils ont d'habitude le secret. Le millésime 2015 du Melfest a révélé très peu de grosses chansons pop dignes d'un "Euphoria", titre de Loreen qui remporta l'Eurovision en 2012. Fini les sons electro-pop et les mélodies bigger than life, cette année les votes du public se sont tournés vers des choses plus légères, plus mainstream, plus "schlager". Le schlager, c'est comme ça que les pays d'Europe du Nord appellent la variété. Pop-rock un peu craignos ou carrément grosse chanson à boire folklorique, le schlager a longtemps dominé la compétition au Melfest. Le genre revient aujourd'hui en force, alors que l'attrait pour les club bangers semble diminuer, et ce partout en Europe. Malgré tout, on a réussi à piocher quelques tubes réjouissants, qui n'ont pas tous récolté les faveurs du public mais qui ont déjà gagné celles de nos playlists. Voici notre sélection.
Le gagnant : Måns Zelmerlöw "Heroes"
Le titre démarre comme un morceau d'Avicii, avec ce phrasé cowboy folk country caractéristique des tubes dance scandinaves comme "Wake Me Up", "Hey Brother" ou "The Nights". Du coup, on s'attend à tout moment à ce qu'une grosse montée electro déboule pendant le refrain... sauf qu'elle n'arrive jamais. Grand gagnant cette année, Mans est déjà bien connu du grand public suédois : on a pu le voir dans Swedish Idol, Danse avec les stars, puis 2 fois en tant que candidat et une fois en tant qu'animateur du Melodifestivalen. C'est donc presque une suite logique de le voir représenter la Suède au concours de l'Eurovision. La chanson est un grower, le mec est bogosse, la scénographie du truc est mignonne, mais pour l'originalité ou la puissance de frappe, on repassera. Meh. Au final, Mans Zelmerlöw représente bien cette pop aseptisée masculine dont le grand public semble vraiment friand depuis un moment, les Imagine Dragons, OneRepublic, du pop-rock super propre dont rien ne dépasse des poils de barbe de 3 jours de leurs chanteurs à minettes.
Les prêtresses dark : Mariette "Don't Stop Believing", Ellen Benediktson "Insomnia"
On les attend toujours avec impatience, et elles ne déçoivent jamais. A chaque Melodi Grand Prix ou Melodifestivalen, on retrouve immanquablement les prêtresses des enfers, voilées de noir, donnant de la voix au milieu de danseurs au visage fermé, avec flashs de lumières stroboscopiques et lâcher de corbeaux à la clé. Mariette et son "Don't Stop Believing" sont un peu sages, même si le refrain est de toute beauté. En revanche, Ellen Benediktson, pourtant recalée dès son premier passage, aura tout donné : "Insomnia" est un mashup au pays des cauchemars entre Loreen, Evanescence et les Tatu. Il y a encore deux ou trois ans, elle aurait pu remporter tous les suffrages, mais en 2015 plus personne ne semble goûter à ces délicieux tubes pour queeros dépressifs. Et c'est bien dommage.
Le club banger : Dinah Nah "Make Me (La La La)"
Cette fille de 35 ans aux cheveux roses a terminé dernière lors de la finale, c'est dire si le public commence à bouder sérieusement tout ce qui ressemble de près ou de loin à un morceau club. "Make Me (La La La)" est un tube dancefloor irrésistible qui sent la sueur, le parfum bon marché et le poppers. Et apparemment, ça n'est plus assez bien pour les goûts du grand public. Les temps sont durs pour ceux qui veulent s'amuser un peu...
La cagole pop : Isa "Don't Stop"
Dès les premières notes de "Don't Stop", on sait parfaitement où on a mis les pieds. La chanson fait irrésistiblement penser au "Shake It Off" de Taylor Swift. Isa Tengblad, 16 ans, avec son look de gentille cagole urbaine, mixe la garde robe de Becky G et des 2NE1 dans un clip sautillant et coloré. Avec ce titre plutôt frais et énergique, cette petite meuf a trouvé dans le Melodifestivalen la parfaite rampe de lancement pour une carrière de jeune popstar locale. Je parie que son prochain single sera à surveiller de près.
Le douchebag en chef : Eric Saade "Sting"
Il y a toujours eu une sorte de malentendu concernant Eric Saade. Lorsqu'il a représenté son pays en 2011 avec le tube "Popular", tout le monde est tombé instantanément amoureux de cette version suédoise de Matt Pokora. Car entre son physique de bellâtre, ses tubes idiots et régressifs, son statut de star pour pré-ados et sa réputation de people capricieux et borderline connard, le mec est la tête à claques absolue. Pourtant, partout en Europe et surtout à domicile, Eric Saade jouit d'une popularité indéfectible. Il revient cette année dans la compétition avec encore une fois une chanson pas terrible.
L'overdose de kawaii : Dolly Style "Hello Hi"
Quand elles ont débarqué dans la compétition, Molly (hin hin...), Holly et Polly, les Dolly Style, avaient tout du clin d'oeil gênant à la culture kawaii japonaise. Et pourtant, "Hello Hi" ne souffre nullement du syndrome Avril Lavigne, et sera sans aucun doute le titre le plus attachant de cette saison. Eliminées aux portes de la finale, nos copines lolitas resteront nos chouchous de l'édition 2015, avec leur chanson s'inscrivant résolument dans la grande tradition bubblegum pop scandinave, dont les dano-norvégiens du groupe Aqua et leur "Barbie Girl" restent les plus illustres représentants.
Le revival 80's : Midnight Boy "Don't Say No"
Johan Petter Krafman n'a que 26 ans, et pourtant son titre "Don't Say No" semble avoir été enregistré en 1984. Véritable hommage au son des clubs gay anglo-saxons des années 80, son personnage de Midnight Boy est un clin d'oeil à Pete Burns et son groupe Dead Or Alive ("You Spin Me Round"), à la pop de The Human League et du groupe Erasure, aux producteurs Stock Aitken & Waterman. On s'imagine sur le plateau de Top Of The Pops dans ce jean et ce t-shirt bien trop moulants, attendant fébrilement la venue de Jimmy Somerville. Midnight Boy carbure à la nostalgie mais son titre so queer a réveillé une saison 2015 assez moribonde.
Rendez-vous maintenant le 23 mai pour découvrir si la sélection suédoise parviendra à tirer son épingle du jeu lors de la finale du concours de l'Eurovision. Prévoyez beaucoup d'amis et beaucoup d'alcool, car cette édition ne s'annonce pas franchement terrible pour l'instant...