Chaque année, c'est la même question : pourquoi les suédois réalisent-ils d'aussi bonnes performances au concours de l'Eurovision ? Quelle est la recette du succès qui a permis à leur représentant, Mans Zelmerlöw, de décrocher une fois encore la timbale lors de la finale en 2015, trois ans seulement après la victoire de Loreen et son "Euphoria" ? La réponse tient en un mot : le Melodifestivalen.
Le Melfest, c'est une institution suédoise depuis plus de 50 ans. Durant 6 semaines, lors d'un marathon fastueux diffusé tous les samedis soirs sur la première chaîne nationale, le public vote pour le titre qui représentera la Suède à l'Eurovision au mois de mai. Cette année, 28 chansons étaient en compétition. Et l'émission a battu tous les records : dans un pays de 9 millions d'habitants, la finale du show a récolté 12 millions de votes. Un suédois sur deux était devant sa télé, du début à la fin de la compétition. Le Melfest, ce sont des scores dignes d'une coupe du monde de foot, pour le plus gros exportateur de bombes pop à travers le monde. C'est une machine de guerre, une arène dans laquelle on se bat à coup de tubes dancefloor, de choucroutes insensées et d'abdos bourrés de talent, sous une tempête de ventilos.
Le Melodifestivalen est un spectacle total, un véritable best of des nouvelles tendances de la pop scandinave, mêlant stars du "schlager" (la variété nordique) un peu ringardes et mégatubes à la pointe. Et cette édition 2016 était un très, très bon cru. Seul bémol : cette année, la montagne a accouché d'une souris, avec un gagnant au charisme proche de zéro. Allez, on débriefe.
Les Reines des neiges : Isa, Lisa Ajax, Molly Sandén
La power ballad des enfers, c'est l'une des spécialités de l'Eurovision en général et du Melfest en particulier. Chaque saison voit son lot de dark prêtresses plongées dans le noir, poussant la voix sur des chansons tellement intenses qu'elles feraient passer Adele pour une choriste de dance roumaine. Cette année, la concurrence était rude entre les très jeunes Isa Tengblad et Lisa Ajax (toutes deux 17 ans) et Molly Sandén, qui à seulement 23 ans, possède pourtant déjà une longue carrière étroitement liée aux concours de chansons suédois (une participation à l'Eurovision Junior et trois au Melfest). "I Will Wait" de Isa et "My Heart Wants Me Dead" de Lisa Ajax sont deux tubes incroyables et les filles ont réalisé de petites prouesses lors de leurs prestations, pourtant Isa n'est pas parvenue jusqu'en finale et Lisa Ajax n'a pas tiré son épingle du jeu lors de la dernière soirée. Injustice totale !
Les country girls : Wiktoria, Mimi Werner
Aussi bizarre que ça puisse paraître, ces dernières années les radios suédoises se sont prises d'affection pour les airs country. Depuis qu'Avicii en met partout dans ses tubes électro, une version forcément plus pop, dansante et cagole de ce courant folk américain rencontre un certain succès dans le pays. Les petites nouvelles Wiktoria et Mimi Werner sont les parfaites représentantes du genre au Melfest, la dernière ayant même fait le voyage jusqu'à Nashville pour enregistrer son premier album. Mimi, avec son titre "Ain't No Good", a d'ailleurs surjoué la carte du cliché sur scène, avec ses danseurs cowboys et sa petite choré de saloon. Il ne manquait plus que les lassos et le taureau mécanique et on pouvait ouvrir un parc à thème.
La popstar locale : Ace Wilder
Ace Wilder est un pur produit du Melodifestivalen : elle fut révélée au grand public lors de la finale en 2014, où elle manqua de peu de remporter le concours avec "Busy Doin' Nothin'". Mais une sombre histoire de problème technique lors du vote par téléphone a eu raison de sa victoire. Depuis, elle est devenue une superstar dans son pays, enchaînant les tubes ("Riot", "Stupid"), mais sa défaite lui a laissé un goût amer, du coup elle retentera sa chance cette année avec "Don't Worry", un de ces sympathiques pop bangers dont elle a le secret. Hélas, elle terminera 3e, malgré un staging plutôt cool et une grosse cote de popularité en Suède et en Europe.
La finlandaise de l'étape : Krista Siegfrids
La Krista, les fans de l'Eurovision la connaissent bien puisqu'elle a représenté la Finlande lors de l'édition 2013 avec le fameux "Marry Me". Sa prestation avait beaucoup fait parler d'elle à l'époque à cause d'un bisou lesbien qui avait ulcéré certains pays diffuseurs. Depuis, malgré une carrière un peu mi-figue mi-raisin, elle jouit d'une grosse cote de popularité dans la communauté gay scandinave, et c'est donc tout naturellement qu'on la retrouve au Melfest. "Faller" est une chanson en langue suédoise, avec un petit clin d'oeil à Abba dans l'intro, et qui s'écoute comme une bonne pop song comme il en existe des centaines sur les radios nordiques. Autant vous dire qu'elle n'avait aucune chance d'aller en finale, mais ça fait toujours plaisir aux vrais fans du concours de voir les anciennes gloires faire une apparition, même furtive.
Les kawaii girls : Dolly Style
C'est la deuxième année consécutive que nos copines les Dolly Style participent au concours. Curiosité de la compétition avec leur look de lolitas des enfers qui vomissent des arcs-en-ciel, le trio ne vole jamais bien haut dans le classement des votes (les gens ne sont pas prêts), mais balance immanquablement une énorme tuerie bubblegum pop à chacun de ses passages. Cette fois, c'est le club banger "Rollercoaster" qui émoustille la magical girl à dos de licorne qui sommeille en chacun de nous. Composé par la même équipe qui a offert à Loreen son premier tube (et une victoire à l'Eurovision) avec "Euphoria", le titre ravive nos souvenirs de jeunesse de l'époque d'Aqua et de Froggy Mix.
Le tube afro pour les kids : SaRaha
SaRaha, trentenaire peroxydée aux faux airs de Robyn, est née en Suède mais a passé toute son enfance en Tanzanie. Elle a démarré sa carrière musicale en chantant en swahili, et a décroché quelques tubes dans les classements afro pop. "Kizunguzungu" est une sorte de club banger qui repose sur des sonorités exotiques, et qui reprend le filon "world music" là où on avait laissé Wes et "Alane", en 1997. La chanson est proprement grotesque, sauf qu'à la première écoute, vous allez avoir le refrain en tête jusqu'à la fin de vos jours. Apparemment, les kids suédois adorent, et j'avoue, à force de l'entendre au Melfest, j'ai fini par me laisser séduire, mais c'est quand même incroyable que le truc soit parvenu à aller jusqu'en finale.
Les douches sous la douche : Samir & Viktor
Nos douchebags préférés !! Samir & Viktor sont eux aussi un produit du Melfest, leur carrière musicale ayant explosé avec l'apparition du titre "Groupie" dans la compétition l'an dernier. Samir est une personnalité de télé-réalité, et Viktor un blogueur mode. Ils ont l'air aussi finauds qu'une tranche de bacon, mais leurs morceaux sont les plus redoutables chansons à boire de toute l'histoire du schlager. Essayez de ne pas danser en écoutant "Saxofuckingfon". Evidemment, avec leur physique de poster boys des salles de gym, les gays les adorent, et ils sont devenus une véritable attraction du Melodifestivalen. Cette année en finale, avec "Bada Nakna" ("se baigner à poil" en français), on a pu les voir patauger joyeusement, torse nu et caleçon dans l'eau d'une fontaine, et on n'en a pas perdu une goutte. Ces deux gentils crétins hyper sexy ont le pouvoir de redonner le sourire et raviver la libido des plus blasés d'entre nous.
Les power-minous : Oscar Zia, Frans
Lors de la finale, Frans et Oscar Zia, respectivement 17 et 19 ans, se sont tirés la bourre dans le haut du classement. Frans l'a finalement emporté et représentera la Suède à l'Eurovision en mai prochain. Tous les deux sont jeunes, mignons, et sont bien connus du public d'adolescentes qui cette année se sont ruées sur l'application de vote lancée par la SVT. Du coup, bingo, c'est le minet avec la plus belle mèche qui gagne. Le souci, c'est que ces clones de Justin Bieber n'ont pas vraiment brillé par la qualité de leurs morceaux. "Human" est un gros hymne un peu pompier sur la tolérance (Oscar Zia est ouvertement gay), et "If I Were Sorry" est une chanson pop ultra simpliste, taillée pour la (non) voix de Frans, ancienne mini-star connue en Suède pour avoir participé à un tube à la gloire du footballeur Zlatan Ibrahimovic. "If I Were Sorry", comparée aux autres titres de la sélection de cette année, est l'une des plus faiblardes, et le charisme de Frans est lui aussi discutable. Ce qui laisse perplexe sur les chances de victoire de la Suède dans deux mois. Un conseil peut être pour le Melfest 2017 : confisquez le portable de la petite cousine.
La compile officielle du Melfest 2016 est disponible sur Spotify, et c'est un peu la meilleure playlist pop du moment (avec celle-ci) alors vous auriez tort de vous en priver. On a déjà hâte d'être à l'année prochaine !