"Frozen" : Madonna c'était mieux avant

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Cette semaine, je me suis intéressé à Madonna époque 1998, celle de "Frozen" et de l'album Ray Of Light, ou l'un des comebacks les plus réussis de l'histoire de la pop.

Nous sommes en février 1998, soit le siècle dernier. Entre deux séances du film Titanic et un cours d'apprentissage de l'Internet (ce nouveau truc censé révolutionner le transfert d'informations, mais qui ressemble davantage à un moyen très coûteux et compliqué de regarder des images pornos sur un ordinateur), on découvre "Frozen", le nouveau titre de Madonna, annoncé en exclusivité à la suite de "Torn" de Natalie Imbruglia, qu'on entendait alors environ 400 fois par jour sur NRJ.

Madonna, on se demandait ce qu'elle devenait. Elle n'avait plus sorti d'album studio depuis des siècles, et on l'avait un peu oubliée. Sur MTV (qui s'appelait MTV Europe à l'époque, où les animateurs étaient blonds et suédois et diffusaient des CLIPS et non des redifs de Jersey Shore), la vidéo de "Frozen" a envahi l'espace. Toutes les heures, c'était lâcher de corbeaux et danses lascives dans le désert de Mojave pour une Madonna en mode sorcière goth en quête d'une nouvelle crédibilité artistique.

C'était peu dire que la chanson, et l'album Ray Of Light qui a suivi dans la foulée, étaient surprenants. Produits par William Orbit, totalement inconnu à l'époque à part de quelques fans des berceuses électro-trance poussives de ses albums solos, les titres de Ray Of Light ont tout de suite enflammé la critique et le grand public. Madonna semblait alors en pleine quête spirituelle pré-kabbale et sa musique s'en ressentait : production ample, chansons technoïdes aux influences world indiennes ou japonaises, textes profonds évoquant les affres de la célébrité, les joies de la maternité et le lien au sacré. Un disque riche, dense et exigeant, long en bouche, mais qui comportait suffisamment de tubes pour combler les radios et les fans de pop.

"Frozen" est le titre qui aurait pu amorcer définitivement le virage de Madonna vers une crédibilité qu'on lui a longtemps refusé. L'image que l'on aura d'elle par la suite, à l'aube des années 2000, sera celle d'une pop star à l'avant-garde, même si tout le monde était conscient qu'elle suivait de près la carrière de Björk et que le succès de l'Islandaise avec son album Homogenic n'était pas pour rien dans ce nouveau pari artistique de la Material Girl. Clipé par Chris Cunningham, vidéaste sulfureux et adulé par la presse indé de l'époque, "Frozen" était la ballade ultime, noyée sous les sections de cordes de Craig Armstrong. Depuis le carton de la B.O. de Romeo & Juliet, qui usait et abusait de ses talents, Craig Armstrong était le musicien dont le téléphone sonnait dès qu'une pop star voulait des violons sur son disque. Ainsi, comme toujours, Madonna a su s'entourer des bonnes personnes pour faire de "Frozen" une machine de guerre destinée à tirer des larmes à tous les branchés de la planète.

Dans les charts, c'est le carton. Pourtant, le single n'a presque jamais réussi à se hisser en tête des classements en 1998. La raison est toute bête : Céline Dion squattait la place de numéro 1 partout dans le monde avec "My Heart Will Go On". Difficile de rivaliser avec la chanson tirée de l'un des films les plus lucratifs de l'histoire du cinéma...

Après le succès critique et commercial de Ray Of Light, Madonna a continué à produire des albums innovants, aux avant-postes de la pop. Music et American Life ont à leur tour enfoncé le clou, intronisant Madonna reine de la pop des années 2000, à la fois grand public et aux ambitions artistiques maousses. Puis, déçue par le semi-échec commercial d'American Life, Madonna, pour la première fois de sa carrière, décide de regarder dans le rétro, et son image de pionnière et de défricheuse de tendances en prend un sacré coup dans l'aile. Confessions On A Dancefloor, malgré une efficacité redoutable, est un disque d'eurodance qui sample Abba et ressemble à une machine à remonter le temps coincée à l'époque de "Vogue" et du disco. Pire encore, avec Hard Candy, son dernier album à ce jour, Madonna semble totalement dépassée par les évènements et appelle à la rescousse des producteurs stars pour tenter de prendre le train R&B en marche. Le problème : Timbaland et les Neptunes avaient été pressés comme des citrons par toutes les chanteuses pop de la terre juste avant de venir prêter main forte à une Madonna furax de voir de jeunes donzelles menacer son trône vacillant.

Pourquoi Madonna n'a-t-elle pas continué sur la voie plus sage et apaisée de Ray Of Light ? Il semblerait que la crise de la cinquantaine, sa quête de jeunesse éternelle et un souci de rentabilité immédiate aient eu raison de ses exigences sur le plan musical, revues drastiquement à la baisse. Qu'en sera-t-il du prochain disque, attendu pour l'année prochaine ? Madonna va-t-elle prendre conscience que le body de gymnastique rose fluo et les toy boys de 20 ans, c'est quand même beaucoup moins classe que les ballades lacrymales déguisée en prêtresse dark de la mort tatouée au henné ?... Mais peut-être qu'elle réserve désormais ses talents pour le cinéma, et aurait décidé de faire de la musique en pilotage automatique, au risque de devenir une pathétique caricature de cougar qui n'amuse plus que la presse people et son noyau dur de fans gays ? Non, on espère toujours que Madonna en a encore suffisamment sous le capot pour nous surprendre et nous faire tomber amoureux d'une chanson, comme lorsqu'on a entendu "Frozen" pour la première fois.

On se quitte avec un sublime remix, réalisé par le français Monsieur Adi, sorti cette année.