Le nouvel album de Lady Gaga revient de loin. Les plus sceptiques d'entre nous se demandaient d'ailleurs s'il allait voir le jour, tant sa genèse fut entourée de mystère, d'approximation et d'incertitude. Sa gestation avait démarré pendant le Born This Way Ball, une tournée certes ultra rentable, mais qui a été vécue, par Gaga et sa garde rapprochée, comme une épreuve qui s'est d'ailleurs avérée insurmontable : les dernières dates furent annulées à cause d'une blessure, mais entre une prise de poids ahurissante, des accidents sur scène, la promo de Born This Way enterrée à mi-parcours, un silence radio inhabituel de la part de la principale intéressée, et une ambiance pesante de guerres intestines entre fans véhéments et rageux hystériques clamant partout qu'elle était finie, on aurait pu croire que l'ambiance de ce tant attendu ARTPOP allait être salement plombée.
En vérité, il n'y aura pas de Born This Way incident avec ce nouveau disque. En 2011, dans les mêmes circonstances chaotiques (épuisement, précipitation et polémique), le deuxième album de Germanotta avait reçu un accueil mitigé : pas assez de tubes, trop bordélique, trop personnel et confus, BTW est un album mal aimé, raillé par certains comme la preuve discographique de l'égo boursoufflé et du manque d'inspiration de la Maman Monstre.
Mais à la Haus of Gaga, les murs (Facebook) ont des oreilles. La taulière est peut être folle, mais sa petite entreprise ne connait pas la crise, et son équipe de graphistes, producteurs et experts en image gère les échecs avec le sérieux, la rapidité et l'efficacité de la plus lucrative mafia internationale du cool.
Born This Way manquait de tubes ? ARTPOP sera une collection de singles potentiels. Les gens se lassent du délire égomaniaque de la chanteuse et de l'extrémisme de ses fans enragés ? On lance fissa la campagne "Stop the drama, start the music". Lady Gaga commence à faire flipper tout le monde ? On l'habille en Pierrot Gourmand et en gifs animés dans son dernier clip. On ré-injecte du fun, de la musique, de la légèreté, tout ce dont l'étouffante ère Born This Way manquait cruellement.
Mais est-ce que ces réajustements réussissent à faire de ARTPOP un bon disque ? La réponse est oui. ARTPOP est un excellent disque de musique pop, qui réussit le pari presque impossible d'être à la fois une succession de tubes potentiellement radio friendly, et un opus qui s'écoute du début à la fin (presque) sans faiblir.
Pour en arriver à ce résultat, il y a eu quelques innovations. Tout d'abord, et à ma connaissance, ARTPOP est le premier album dont les singles sont à ce point nombreux et interchangeables que les fans eux mêmes décident de l'agenda de leur mise en ligne. Ainsi, alors que "Venus" était pressenti comme 2ème extrait officiel, ce sera finalement, à la demande générale, "Do What U Want" qui sera en charge de la promotion télé et radio. Enfin, jusqu'à ce que quelqu'un change d'avis ? ARTPOP, en parallèle avec le Prism de Katy Perry, ouvre une nouvelle ère où l'on ne sait plus très bien faire la différence entre un single officiel et un "teaser single", ces titres dispos lors de la pré-commande d'un album. Qu'importe : qu'elles soient officielles ou non, ARTPOP est une étonnante réserve de dingueries.
Le concept autour d'ARTPOP est également assez nébuleux. De la "pop artistique", c'est quoi encore cette arnaque ? La meuf fait ça depuis ses débuts. En vérité, le génie de ARTPOP, c'est qu'il n'a pas de concept. Ni de thème fort. Le but de l'opération : un gros écran de fumée arty pour mieux vendre ce que Lady Gaga fait encore de mieux : de la pop mainstream déglinguée et hors norme, des tubes radio. Puis, surtout, il s'agit de faire croire au grand public que c'en est fini de l'égotrip épuisant de la chanteuse. J'en veux pour preuve ce sentiment de joyeuse stupidité dans les paroles des chansons, quelque chose que l'on n'avait plus entendu depuis "Bad Romance". Ici, on revient aux fondamentaux : grosse turbine eurodisco pour clubs gays, point barre. Tout le décorum incompréhensible, les pochettes moches, les discours interminables lors du iTunes Festival, ne sont là que pour noyer le poisson. ARTPOP est un album stupide pour dancefloors, et c'est, au fond, tout ce que le grand public attend de lui.
Born This Way était introspectif, démonstratif, casse-couilles et lourdingue dans son propos, et musicalement assez froid et robotique, tout en manquant parfois de vraies chansons pop. ARTPOP en est l'exact opposé : le disque est léger, beaucoup plus drôle et funky ("G.U.Y", "Sexxx Dreams" et "Do What U Want", avec leur groove génétiquement modifié, en sont les meilleurs exemples). Il y a bien sûr la présence de Zedd et Madeon, deux jeunes producteurs incroyables qui apportent un vent de fraîcheur, de sauvagerie classe, de modernité et de variété à l'ensemble. Il y a aussi, bien sûr, des titres dispensables (le bruyant "Swine" ou la ballade relou de rigueur "Dope"), qui nous rappellent que la Gaga crâneuse n'est jamais loin, se tenant toujours prête pour un concours de bites. Mais l'ensemble du disque crie surtout "REVENEZ" aux fans et aux curieux de la première heure. Oui, revenez. Vous vous étiez sans doute promis de ne plus jamais vous infliger un album entier de cette folle, mais rappelez-vous que la folle est encore celle avec qui l'on s'amuse le plus.