La semaine dernière j'écoutais la radio dans la voiture. Je ne sais plus si c'était NRJ ou Virgin Radio, mais c'était une de ces pubs qui balancent les noms des nouveaux titres entrés en playlist. Annoncées par un tonitruant "Bientôt dans votre playlist, déjà dans votre radio", on entendait les refrains de morceaux eurodance quelconques, mais un truc m'a frappé. Par un hasard de découpage malencontreux mais très drôle, TOUS les extraits étaient identiques, sonnaient exactement pareil : un drop tropical à la Major Lazer. Ce qui fait que véritablement, il était impossible de différencier un titre d'un autre. "RANDOM DJ NORVEGIEN ! blipblopblopblop ! RANDOM DJ SUEDOIS ! blobloblopblip ! RANDOM DJ FRANCAIS ! blopdublopdablop blop". Vous savez, quand vous parlez de musiques de jeunes à votre mamie et qu'elle vous affirme d'un air blasé en touillant la soupe que tout se ressemble, que ça n'est plus de la musique mais du boum boum, eh bien nous sommes en 2016 et votre mamie avait raison : aujourd'hui à la radio, toute la pop fait blopblopblop.
Cette fois, on ne va pas se raconter d'histoires : la musique populaire en 2016 est dans un piteux état. L'année dernière, on avait encore un peu d'espoir, on se demandait où étaient passées les big popstars, les Lady Gaga, Britney Spears... Eh bien elles sont revenues. Avec des albums pas mauvais en plus. Mais tout le monde s'en fout. Car la pop est une question de cycles, et en ce moment, on n'est clairement pas dans le cycle où les jeunes ont envie d'entendre de déjà vieilles gloires du passé chanter sur de gros refrains. La preuve, ils les ont fait totalement disparaître, ces pauvres refrains. Blop blop :(
Dans le bouquin Hits (The Song Machine en VO), John Seabrook explique que cette succession de modes, dans lesquelles la pop music super commerciale, vulgaire, exubérante, dansante et d'un goût douteux est tour à tour hégémonique puis conspuée, est parfaitement normale. Chaque cycle est une réaction au cycle précédent. Et alors qu'entre 2008 et 2013, on se la donnait sur du Katy Perry ou du Icona Pop, aujourd'hui la pop a été remplacée par quelque chose d'autre. Cette période sombre pour les fans de pop, on l'appelle "le marasme" dans le petit milieu des programmateurs radio : quand la pop laisse place aux "extrêmes" (la musique alternative), il faut sortir les rames. Parce que la pop est la musique qui rassemble le plus d'auditeurs possible, qu'elle plait potentiellement aux jeunes comme aux vieux, c'est une aubaine quand elle est à son apogée comme ce fut le cas ces dernières années. Mais quand la génération qui suit la rejette immanquablement (quand on est une ado de 15 ans, on ne va certainement pas écouter et aimer la même chose que sa grande soeur de 20), c'est un casse-tête pour toute l'industrie du disque, les radios, les télés. Par quoi peut-on remplacer ce grand appel d'air, ce grand vide laissé par les années pop de Britney et Gaga ?
Eh bien, les dernières stats de Deezer et Spotify sont formelles : place au rap. En 2016, tout le monde a écouté du rap, beaucoup, beaucoup, beaucoup de rap. En France notamment, où le genre a toujours connu un turnover incroyable, il est omniprésent. Avec nos fameux rappeurs à trois lettres (Jul, PNL, SCH ou MHD), mais aussi le renfort des américains Drake ou Kanye West, le hip hop est devenu la seule musique alternative. Pourquoi une telle main-mise ? Parce que le rock est toujours en phase terminale, trop faible pour profiter du désamour pour le mainstream, trop rincé et à court d'idées pour effectuer un glorieux comeback comme l'avait fait le grunge dans les années 90. Mais bon, le rap, pourquoi pas après tout. Seulement, c'est un genre encore trop clivant. Il va donc falloir garder la pop, mais inventer une pop différente, qui se base sur d'autres schémas et d'autres recettes que celles utilisées par les usines à tubes de Rihanna ou Britney Spears. Et c'est là que les choses commencent sérieusement à se gâter.
La "pure pop" produite à la chaine par les Max Martin, Dr. Luke ou Stargate, a fait son temps. Alors on va essayer de modifier les ingrédients, en enlevant tout ce qui est trop riche, trop gras, trop cheesy. Faire de la pop healthy, sans gluten. On va commencer par enlever les refrains et les remplacer par des drops (les fameux blopblopblop). On va surdoser les colorants et faire en sorte que tout ce qui sort de nos usines ressemble à du Major Lazer (énorme carton de l'été 2015), parce qu'il faut vendre et qu'on n'a pas le temps de niaiser. On appellera ça la pop tropicale (ou trop-pop pour les anglophones). Du coup, de Maroon 5 à Sia, de Tal à Calvin Harris, de Dua Lipa aux Little Mix, tout ce qu'on entendra à la radio aura la saveur d'une éternelle playlist de vacances au Cap d'Agde. Et même si ça donne des situations bizarres, comme quand on gratte le gel sur le pare-brise de sa voiture un matin de décembre en ayant l'impression d'avoir encore du sable dans les baskets, il va falloir se faire une raison : le manque d'inspiration de toute une industrie nous oblige à écouter le même son estival qui se répète à l'infini.
Comment en est-on arrivé là ? On ne peut pas tout expliquer par la loi des cycles. En réalité, le mal est plus profond : la pop s'est simplement embourgeoisée. Devenue trop bizarre (coucou "Bad Romance"), trop colorée, trop criarde, trop sexuée et trop gay, et afin de garder l'estime du grand public qui commençait à saturer des divas en culottes qui vocifèrent sur de la musique de boites à partouzes, il a fallu que tout le monde se calme et se refasse une cure de "crédibilité". Lady Gaga est partie enregistrer un album country. Rihanna s'improvise trap queen. Les DJ eurodance ont ralenti le tempo. Les bad boys du hip hop et du r'n'b se font crooners pour ambiancer les mariages et enterrements de vie de jeune fille (Drake, The Weeknd). Et tout le monde danse sur du bon vieux funk en conserve (Bruno Mars, DNCE).
La pop s'est gentrifiée : tout ce qui faisait le charme un peu dégueu et effrayant de cette musique queer et excitante a été lissé, tamisé, dégraissé, asexué, débarrassé de ses aspérités, pour laisser place à un produit plus générique mais socialement acceptable. Avec des productions aussi rutilantes que le dernier iPhone, mais aussi chargées en émotions que le visage de Gigi Hadid. On en arrive donc à une situation bizarre où la pop est partout mais nulle part à la fois. A force de vouloir plaire en même temps au hipster du 20ème, à la gamine de 15 ans, à ma mère qui écoute NRJ, aux jeunes gays à capuches et à la secrétaire de direction qui s'enjaille en afterwork, la pop est devenue un truc sans âme, une simulation de fun vidée de toute substance.
Pourtant, alors qu'elle finit par se réduire à un bruit de fond marrant et dansant, paradoxalement on n'a jamais autant parlé de pop que depuis qu'elle est devenue fantomatique. Car la génération qui a grandi avec Britney est aujourd'hui aux manettes des blogs de mode, des sites internet cool et des agences de pub, et entretient un rapport d'amour-haine nostalgique avec cette musique, qui lui rappelle sa jeunesse qui s'évapore lentement mais surement. Du coup, toutes les occasions sont bonnes pour faire des playlists PARTY (essentiellement le dernier album d'Ariana Grande couplé à des titres de rap old school et du Drake, toujours lui), ou des papiers sur les starlettes oubliées du r'n'b des années 2000, ou les Spice Girls, ou Justin Timberlake, ou Mariah Carey, tout en s'imaginant que les sujets pop d'aujourd'hui se résument à Kim K et Kanye, les abdos de Zac Efron, les ex de Taylor Swift, les looks de tapis rouge ou les beefs entre rappeurs. Quand tout est pop, rien n'est pop, et la pop devient alors un vulgaire accessoire fashion jetable, un trou noir qui aspire toute la magie et la subversion d'une musique qui, quand elle est en forme, change la vie des gens, pour de vrai.
Un peu comme le rock a été instrumentalisé par les modasses au début des années 2000, pour le résultat catastrophique qu'on connait aujourd'hui (il est laissé pour mort), la pop se sent obligée de plaire aux snobs, aux hipsters, aux pétasses des capitales mondiales, alors qu'elle est, par essence, totalement uncool et destinée à faire fuir en courant ces mêmes personnes qui ne jurent aujourd'hui que par les "guilty pleasures". Pour qu'elle reste en vie et garde son âme et toutes ses vitamines intactes, la pop doit rester la musique de ceux qui n'ont pas les clés de la réussite et du bon goût, ceux qui ne sont pas invités aux soirées, celles qui hurlent et chialent en avalant leur morve dans les concerts des boybands du X Factor, cette classe moyenne mal dégrossie qui claque des fortunes en SMS devant The Voice, qui se fringue chez Primark, qui boit du whisky cheap à la bouteille sur des parkings de boites de nuit, et qui achète les compiles NRJ Hit Music Only en CD dans les stations Total sur la route des vacances. La pop, notre petit trésor à nous, qu'on aime au premier degré, qui nous a appris à bouger nos corps maladroits, à aimer, à baiser et à s'accepter, nous a été confisquée et dénaturée par une poignée de community managers de l'Est parisien qui n'aspirent qu'à se bourrer la gueule, goguenards, sur des playlists Spotify régressives mais prétentieuses. Sachez que nous ne vous laisserons pas faire. Rendez-vous en 2017.