Abonnées aux records de vues sur YouTube, les coréennes de BLACKPINK reviennent avec un nouveau titre et de nouveaux territoires à explorer. Ou comment la k-pop féminine est enfin parvenue à conquérir le monde après dix ans d'échecs cuisants.
La YG Entertainment est passée par une belle porte. Alors que l'une des plus grosses agences coréennes était embourbée dans un scandale médiatique sans précédent (une sale histoire de réseau de prostitution et d'agressions sexuelles où serait impliqué Seungri du groupe BIGBANG), la voilà qui vient de se refaire une santé avec la sortie du nouveau clip de son dernier groupe phare : BLACKPINK.
"Kill This Love", sorti jeudi dernier, n'est pas seulement un énorme succès sur YouTube. C'est le clip de tous les records. Avec près de 50 millions de vues en 24 heures, les filles de BLACKPINK battent leur propre record, puisque ce titre honorifique (le clip de k-pop le plus visionné en 24h) leur revenait déjà 9 mois auparavant, à la mise en ligne l'été dernier de leur phénoménal "DDU-DU DDU-DU".
Jennie, Lisa, Rosé et Jisoo sont aujourd'hui au sommet de la chaine alimentaire de la pop. Le girlband coréen s'apprête à entrer dans l'histoire comme le premier groupe de k-pop féminin à jouer des coudes avec Ariana Grande sur l'affiche du festival Coachella ce weekend.
BLACKPINK est un pur produit d'internet. Elles sont la réalisation, en 2019, de cette utopie de média global que les grandes agences coréennes nous promettaient il y a 10 ans. A l'époque, quand les trois plus gros labels de Séoul nous expliquaient, des trémolos dans la voix, que la Hallyu, la vague culturelle coréenne, allait déferler sur le monde, les journalistes occidentaux se grattaient un peu la tête en se demandant comment on allait vendre aux kids américains et européens des groupes de jeunes asiatiques trop maquillés qui dansent dans des vidéos plus clinquantes que la dose autorisée.
Aujourd'hui, les choses ont bien changé. Les BTS détraquent les hormones des filles de la planète entière, et les BLACKPINK sont partout. Alors qu'elles ont signé l'hiver dernier sur Interscope Records (le label américain de Lady Gaga, Lana Del Rey, Kendrick Lamar ou Billie Eilish entre autres), les filles sont déjà incontournables dans toute l'Asie.
On ne s'en rend pas forcément compte de ce côté-ci du globe, mais pour avoir passé quelque temps en Thaïlande cette année, je confirme qu'on ne peut pas leur échapper : on les retrouve dans des publicités à la télé, sur les affiches dans le métro, à la radio, dans les bars, les boites, les centres commerciaux, sur les cartables des gamines qui vont au collège, sur les marchés déclinées en t-shirts, posters, stickers et cartes à jouer... Impossible de sortir une journée sans entendre l'intro de "DDU-DU DDU-DU" retentir quelque part.
Pourquoi ça marche, mais pourquoi ta daronne n'en a jamais entendu parler ? Parce que les BLACKPINK sont leur propre média. Les médias pop d'aujourd'hui, ce ne sont plus les tuyaux traditionnels, radio, télé, journaux : ce sont YouTube et Spotify, qui abolissent les frontières et passent au travers des habituels filtres de maisons de disques qui feront toujours passer Louane et Kendji Girac avant "des bridées que personne ne connait" (propos entendus chez un mec de label français en 2012 au sujet des Girls' Generation).
Leur succès, elles le doivent aussi à la recette maison de leur agence. Leur musique fait avancer les lignes tout en cherchant à plaire au plus grand nombre. Chacun de leurs titres est une hybridation de pop girly et de grosse turbine hip hop : tout le monde s'y retrouve. Quant aux vidéos, elles sont juste totalement dingues. Dans le MV de "Kill This Love", on voit les filles se trémousser au centre d'un piège à loup géant, on retrouve des clins d'oeil à Tomb Raider ou Suicide Squad, les fringues sont incroyables, et lorsque Lisa se met à rapper, on a l'envie irrépressible d'aller botter des culs. Les BLACKPINK, avec leur charisme de papier glacé et leur sons ultra excitants, sont un fantasme de fan de pop.
Mais pour un succès mondial à la BLACKPINK, combien de girlbands coréens se sont cassés les dents auparavant ? Leur propre agence, la YG, avoue sans vergogne que les filles ne sont que la nouvelle version réactualisée de leur précédent groupe phare féminin, les 2NE1. En 2011, elles aussi étaient quatre filles badass aux looks iconiques, elles aussi avaient un avenir prometteur et une musique aux avant-postes du cool, avec la rappeuse CL en couverture de tous les magazines de mode. Mais tous les signaux n'étaient pas au vert, et aujourd'hui séparées, elles végètent chacune de leur côté dans les limbes de l'insuccès. On ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs...
"Kill This Love" arrive à un moment de leur carrière où les BLACKPINK peuvent littéralement tout se permettre, et paradoxalement le titre se la joue "safe" en reprenant ce qui a fait l'immense succès de "DDU-DU DDU-DU" l'an dernier, ce mélange de sons urbains et de pop sucrée super bien emballé. Si la chanson parle d'amours déçus et d'empowerment, on ne peut s'empêcher d'entrapercevoir dans la thématique du titre les cadavres encore chauds de toutes les autres filles coréennes qui ont tenté de s'attaquer au marché global de la musique, en y laissant parfois leur santé, leur carrière ou leur réputation (coucou les Wonder Girls, les T-ara, 4minute, f(x)...).
Si "Kill This Love", avec ses trompettes qui pétaradent et sa rythmique guerrière vous font un peu peur, je ne saurais trop vous conseiller de jeter une oreille au deuxième titre de leur dernier mini-album, le plus sensible et mélodique "Don't Know What To Do", qui prouve bien que les filles ne sont pas que des amazones synchronisées armées de lance-flammes pour carboniser tous les garçons toxiques qui se mettraient en travers de leur chemin. Sous le vernis en acier trempé de la robotique pop coréenne, il y a toujours un petit coeur qui bat.