Le tant attendu morceau de Lady Gaga, "Born This Way", première bulle spéculative de l'histoire de la pop, a le mérite d'avoir accompli ses deux principales missions : faire parler de lui (et du grand retour de Lady Gaga, absente depuis 10 minutes) et vendre des tonnes de MP3 sur iTunes. Hourra.
Mais la victoire a un petit goût amer. Tout d'abord, le single divise. Pas mal de gens, même parmi les fans de la première heure, le trouvent tout pourri. Certains évoquent (et on ne peut pas leur donner tort) un plagiat éhonté de quelques mesures du titre "Express Yourself" de Madonna. Un rip-off pas très discret car il se trouve en plein dans le refrain. Les fans de cette bonne vieille Madge n'ont pas manqué de taper leur petit scandale, pourtant je ne me rappelle pas les avoir entendu s'offusquer autant au sujet du grossier sample d'Abba sur "Hung Up". La pop a toujours été mêlée à des histoires de petits larcins de ci de là, pas de quoi en faire un trending topic sur Twitter, si ?
Ce titre, qui n'est pas mauvais du tout, m'a tout de même déstabilisé. Le réflexe premier quand un artiste pop nous déçoit, c'est de se dire "Oui bon, ce n'est que de la pop mainstream après tout, c'est pas comme si Lady Gaga avait révolutionné la musique". Non, Lady Gaga n'a rien inventé, et surtout pas sur ce titre. On peut se demander si l'aspect visuel de l'artiste ne nous a pas détournés de l'essentiel : le son, les chansons. Est-ce que c'est aussi incroyable que ça, Lady Gaga ? Non. Mais si quand même.
Quand l'album The Fame Monster a été dévoilé au public fin 2009, on pouvait alors parfaitement décrire le son Gaga : une tendance à récupérer tout ce que l'Europe avait produit de sons cheap, mal aimés, de mouvances issues de la sous-culture club : on y retrouvait pèle-mêle de l'eurodance, Ace of Base, Depeche Mode (des débuts), de l'italo-disco, de la new beat belge, en gros, les poubelles de l'histoire de la dance music (qui, évidemment, recèlent de merveilleux trésors, comme chacun sait). Mais cette production rentre-dedans pas toujours très finaude était sublimée par des chansons pop incroyables, comme "Bad Romance", "Alejandro" ou "Dance In The Dark". The Fame Monster était un gros travail de récup' (et de réhabilitation) de la mémoire d'une pop mainstream européenne un peu crasse. Un son d'ailleurs parfaitement raccord avec son personnage de freak de synthèse avide de célébrité.
Le soucis avec "Born This Way", c'est qu'on ne trouve plus aucune trace de ces influences européennes. A la place, on a affaire à un titre profondément américain. Je trouvais déjà que The Fame Monster était un peu plombé par "Speechless" ou "Teeth", parce qu'ils avaient une texture et une inspiration très musicals, très Broadway. Faut se rappeler que Lady Gaga est une pure new-yorkaise, et là, on sent des automatismes de chansons drama fédératrices telles que les Etats Unis en ont refourgué des milliards. Oui, "Born This Way" fera un tabac quand le cast de Glee reprendra la chanson dans un épisode, tout comme on l'entendra beaucoup sur les chars des Gay Pride du monde entier. Mais "Born This Way" est aussi un titre casse-gueule, parce que presque essentiellement dédié à ses fans, où elle reprend toute la mythologie Gaga-esque en mode pilotage automatique (le premier couplet est presque mot pour mot le copié-collé d'une de ses interviews). Quand elle a annoncé avoir écrit le titre en 10 minutes, je veux bien la croire. Du coup, ce dialogue familier entre l'artiste et son public en laissera pas mal sur le bord de la route. On a l'impression de les déranger un peu en pleines retrouvailles, on se sent pas à sa place (alors que moi-même, je suis fan).
Au final, "Born This Way" est un titre qui transpire le folklore ricain : thème uplifting, production clinquante, spéciale dédicace à Dieu, message de tolérance et d'émancipation. Du coup, on se dit que Christina Aguilera, Pink, Cher ou ... Madonna auraient très bien pu interpréter cette chanson. Grosse erreur de calcul donc : en voulant faire plaisir à ses fans, Gaga non seulement se pose en caricature un peu simplette recyclant son imagerie freak jusqu'à l'overdose, mais en plus, musicalement, sa bizarrerie des débuts se dilue dans une pop FM tartignolesque. Dans le même registre, Katy Perry avait réussi avec un "Firework" pourtant saturé de clichés, à créer une merveilleuse pop song. Ici, Lady Gaga se casse les dents, avec un titre dont les intentions sont tellement évidentes qu'elles nous donnent envie de fuir, un peu comme avec un amoureux envahissant et lourdingue qui nous colle aux basques. Lady Gaga est peut être un peu trop obsédée par ses fans et son propre mythe de carton pâte ?