L'annonce de la résidence de Britney Spears au Planet Hollywood de Las Vegas a suscité beaucoup d'émotion sur internet. Tous ceux qui ont déjà mis un pied dans la capitale du jeu savent que la chanteuse ne fera pas tache au milieu des hôtels climatisés, des décors en carton pâte, dans cette ambiance de néons et de moiteur abrutissante. Britney, peut être encore d'avantage que toutes les autres popstars sur le marché, représente l'entertainment américain dans ce qu'il a de plus fascinant, avec son passif de baby star devenue une sulfureuse machine à tubes, à frasques, à scandales, et ses légendaires problèmes de santé mentale et physique qui la rendent si borderline et si touchante.
Je me souviens, un soir de l'été 2010, j'essayais péniblement de terminer un plat gigantesque de nachos, assis à une terrasse en face du Planet Hollywood Hotel. En lieu et place de l'affiche du spectacle de Britney se trouvait alors une publicité lumineuse géante pour le show d'une autre star américaine, certes beaucoup moins A-list que Brit-Brit : Holly Madison, la Bunny Girl à la retraite, qui faisait de l'effeuillage pour un spectacle intitulé "Peepshow". La classe à Vegas.
Même blondeur, même dégaine, même mauvais goût : de loin on pourrait les confondre. Mais à la différence de cette pauvre jeune femme (que j'ai toujours trouvé incroyablement creepy), la carrière de Britney Spears a su rester à flot malgré les années et les modes qui passent. Hier par exemple, avant que le clip de "Work Bitch" ne soit diffusé sur la chaine officielle des bitches (CW), les fans pouvaient célébrer les 15 ans de son tout premier single, "... Baby One More Time". 15 ans. Une éternité à l'heure de Twitter, du snapchat, des 500 articles de Melty rédigés à la chaîne chaque jour, du flux continu d'informations pop, sitôt consommées, sitôt oubliées.
Pour rester dans la course, et quoi qu'en disent ses détracteurs qui n'en finissent plus de la comparer à de la vieille viande molle, Britney Spears a dû bosser. Aujourd'hui, c'est une mère de famille un peu fatiguée, très portée sur les gourmandises junk food, un peu esquintée par les médocs, mais qui se bat pour rester le plus longtemps possible dans le coeur des gens. Et c'est tout ce dont il s'agit dans "Work Bitch".
On ne va pas se mentir, "Work Bitch", avec sa prod' de club gay des années 00, est un très très mauvais single. Ses scores décevants dans le Billboard s'expliquent facilement : c'est franchement pas très bon. Quand j'ai entendu le titre pour la première fois, j'ai eu des flashs de souvenirs très désagréables de l'époque où je sortais beaucoup. Je venais de faire mon coming out et je traînais pas mal dans les clubs pédés du sud de la Belgique, au moment où il y avait ce titre qui passait sans arrêt, et dont s'inspire très clairement "Work Bitch". Du coup, le nouveau Britney m'évoque surtout ces cuites au mauvais whisky dans des boites pourries quand j'avais 19 ans et du coup, tout ça a encore vaguement un arrière goût de vomi.
On a d'ailleurs beaucoup reproché à la chanteuse, ces dernières semaines, de vouloir siphonner le portefeuille des gays, avec cette très longue série de concerts, et surtout avec une chanson aussi queer, un clin d'oeil vraiment pas discret à la club culture invertie. Marrant cette polémique. C'est comme si certains jeunes découvraient le principe même de la pop. Oui, Madonna, Britney, Cher, Beyoncé ou Lady Gaga veulent faire les poches du public homo, c'est même essentiellement grâce à la fidélité et au pouvoir d'achat de cette communauté qu'elles peuvent espérer avoir une carrière. Et aujourd'hui, des gars comme le rappeur Mikky Blanko en viendraient presque à appeler SOS Homophobie. On respire deux secondes et on réfléchit avant de dire des conneries : la pop est gay par essence, accuser une diva pop de vouloir plaire aux gays, c'est un peu comme s'insurger contre le fait que les magasins de meubles veulent refourguer des tables de salon.
Le clip de "Work Bitch", en revanche, est aussi génial et jouissif que la chanson qu'il illustre est générique et poussive. C'est sans doute sa vidéo la plus fierce et la plus drôle depuis "Toxic". Britney et ses danseuses au milieu du désert, avec des chorés hystéro, du hairflip à qui mieux mieux, une ribambelle de saynètes SM incroyables, des grosses bagnoles, un peep show (Holly Madison n'est finalement jamais bien loin), de gentils requins nageant joyeusement dans une piscine sous les spots colorés, et une chanteuse au top physiquement. Le type-même du clip qui va te réconcilier avec un morceau que tu détestais au départ. De toute façon, malgré ses défauts, "Work Bitch" passera à la postérité en tant que nouvelle bande-son officielle de tous les Club Med Gym de Paris et sa proche banlieue.
C'est quand même marrant cette analogie frappante entre Britney et son nouveau lieu de résidence. Tout comme Las Vegas, Britney nous en met plein les yeux malgré un arrière-goût néfaste. Las Vegas est une ville ambivalente, à la fois incroyablement excitante, mais avec un côté dérisoire, vain, et très très malsain. Las Vegas et Britney ne formeraient-elles qu'une seule et même entité, une fête foraine bling bling, un peu triste et désuète, qui tombe tout doucement en ruine, mais qui nous attire encore et toujours irrésistiblement à elle ? Vegas belongs to Britney, Britney belongs to Vegas. Mais, malgré les apparences douteuses, ces deux symboles du divertissement de masse à l'américaine ont quelque chose de vivant, une émotion tangible, quelque chose qui ne disparaîtra jamais tout à fait. Allez demander aux habitants du Nevada ce qu'ils aiment à Vegas, et demandez la même chose aux fans de Britney Spears. Ils auront du mal à vous l'expliquer clairement, mais leur attachement n'en sera pas moins sincère. Vous pouvez me croire, parole d'amoureux de Vegas et de Britney, qui fantasme secrètement de se faire marier à son amoureux par un sosie pourri d'Elvis, au son de "Born To Make You Happy".