Je lis peut être trop la presse musicale, qui annonce chaque année depuis 2001 la mort du cédé, mais est-ce que ça vous est déjà arrivé, quand vous êtes à la fnac, d'acheter un disque et soudain de vous sentir super vieux et ringard parce que voilà, "plus personne n'achète de disques" ? Eh bien moi oui. Bien sûr, plus personne, ce sont les ados, puisque les journaux style Inrocks n'ont d'yeux que pour eux, se prennent eux-mêmes pour des jeunes et veulent être leurs copains. Mais les jeunes n'achètent plus de revues non plus, donc c'est mal parti. Je n'ai jamais vu mon petit frère acheter un disque de sa vie. La seule fois où il a mis des sous dans quelque chose de musical, c'était pour acheter le matos pour jouer à Guitar Hero. Et dans un iPod nano dont il ne se sert jamais. D'ailleurs il doit sans doute être pêté au fond de son sac.
Je ne devrais pas culpabiliser d'acheter de la musique. Non pas que je condamne le téléchargement illégal, ce serait la grosse blague du jour pour ceux qui me connaissent... Mais acheter un disque, c'est encore le truc le plus significatif des gens qui s'intéressent ne serait-ce qu'un peu sérieusement à la musique. On nous tient toujours le discours comme quoi les jeunes sont devenus super ouverts et curieux depuis internet, qu'ils se font une culture musicale. Mais les gens qui écrivent ça dans leurs papiers n'ont jamais vu de jeunes de leur vie non ? La nouvelle génération s'en branle totalement, de la musique, vraiment. Ils se passionnent pour des tas d'autres choses, mais la musique, ça reste un bruit de fond, un décor, un ornement, un gadget, jamais un sujet de conversation, encore moins une passion. Ils aiment vaguement un groupe ou deux, s'envoient des mp3 qui s'égarent dans leur disque dur car mal taggés, aussitôt écoutés aussitôt oubliés, un peu comme quand on s'envoie des liens de clips quand on s'emmerde au boulot.
Pourquoi la musique n'intéresse plus les gens ? C'est une vaste question. Les maisons de disques affirment avec véhémence (surtout l'autre affreux de Pascal Nigga) que c'est de la faute au peer-to-peer, que comme tout est gratuit, c'est un peu comme lorsque tu vis dans un champs de pommiers : quand les pommes tombent des arbres, ça te laisse un peu indifférent, tu vas pas te dire "miam des pommes, mangeons-en plein c'est gratos".
Sauf que quand tu vas dans une crèperie, tu te prends un bon bol de cidre. C'est ma métaphore foireuse du jour : si les artistes veulent à nouveau qu'on s'intéresse à leurs pommes qui tombent des arbres, ils n'ont qu'à en faire du cidre. Je m'explique.
Le vrai problème avec la musique, c'est qu'elle est devenue inutile aux yeux de la nouvelle génération. Quand le rock est apparu y'a quelques millions d'années je crois, c'était la révolution, un nouveau mode de vie bandant, une contre-culture blablabla. La musique générait du rêve, du fantasme, de la coolitude, et c'est un peu parti en sucette quand Kurt Cobain s'est trouvé visiblement très fatigué de tout ce cirque.
Les jeunes ont bien de quoi s'occuper aujourd'hui : il leur suffit d'allumer leur PC ou leur console pour s'amuser, mater des choses étonnantes, jouer à des jeux ludiques et merveilleux, s'évader ou alors, occupations plus terre-à-terre, draguer, se sociabiliser (ou l'inverse), tomber amoureux, baiser, etc. Les nouvelles technologies ont rendu complètement inutile la musique, qui était il n'y a pas si longtemps que ça un des moyens les plus efficaces de s'intègrer à un groupe, faire des expériences, vivre des trucs et se sentir vivant.
La musique est passée du centre de la vie de millions de jeunes, à la périphérie, au no-man's-land de l'anecdotique. Elle ne fait plus rêver, ne génère aucun acte (et surtout pas l'acte d'achat), c'est juste un papier peint sonore qui gigote de toutes ses forces pour exister dans le coeur des gens. Vous pouvez me dire quel nouveau groupe en 2008 marquera ces 10 prochaines années ? MGMT ? S'ils arrivent à faire un deuxième album, ils seront déjà miraculés.
En 2009, peut-être que ce sera comme l'année dernière. Car il y a beaucoup de boulot pour la nouvelle génération d'artistes et ceux qui en font la promotion : il va falloir se révéler plus passionnants et addictifs que Grand Theft Auto, le film "Twilight" ou la drague sur le net.
Ok, et ma métaphore du cidre alors ? Bon, en fait, je viens de m'apercevoir que ça marcherait mieux avec le jus de raisin et le vin. Alors reprenons.
Avant, disons que la musique, c'était consommé comme du bon vin, et maintenant, comme du vulgaire jus de raisin. Pour boire un bon vin, tu invites tes amis, tu choisis une bonne bouteille, tu fais tourner ton verre d'un air entendu, tu fais ton petit commentaire ("hum, il pique un peu"), alors que tout le monde sait bien que tu n'y connais rien en vin et que tu veux juste être un peu bourré. Le boivage de vin, c'est un petit cérémonial récréatif convivial qui peut être le début d'une soirée où tout le monde finit à poil à se rouler des pelles. La promesse d'un bon moment, en fait.
Imagine maintenant que le vin est disponible partout, gratuitement, qu'il coule des robinets. Les gens en auraient vite marre d'être tout le temps ivres morts, ne se feraient plus chier à faire des soirées et le consommeraient tout seuls chez eux, à l'occasion, devant un DVD. Eh bien c'est ce qui s'est passé avec la musique.
Rendre à la musique sa dimension conviviale, trouver de nouveaux cérémoniaux dont la musique serait au centre, comme une célébration, on prendrait quelques minutes de son temps pour prèter attention au truc, ce serait plus que nécessaire pour que la musique vive à nouveau. Alors vous allez me dire, "Et les concerts alors ?" Ouais ouais, les concerts, c'est un truc de vieux citadins privilégiés, qui se retrouvent entre eux systématiquement (en tout cas c'est comme ça que ça se passe à Paris). Les festivals ? Une excuse pour manger des kébabs immondes, ne pas se laver pendant trois jours, ingèrer le plus d'alcool possible, faire la queue à des stands qui vendent des t-shirts trop grands, filmer avec son portable des images pourries, et les concerts bah, toujours les mêmes routiers du rock, Radiohead, Muse, Beck, les mêmes têtes d'affiche depuis mille ans.
Non, vraiment, il va falloir se lever le cul pour créer du beau, du dangereux, de l'essentiel, du solennel, du spectacle et du rêve. Bon courage tout le monde.
(L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, consommez-le tant que vous pouvez).