Au départ, le jury de la Nouvelle Star dans sa formule actuelle, avait pour mission de dénicher le Julien Doré de la saison. Un artiste branché et élégant, vaguement rock'n'roll, mais pas trop pour ne pas perdre la ménagère en cours de route. Il fallait découvrir le chanteur ou la chanteuse qui plaira à la fois aux Inrocks et à Télé 7 Jours. Il fallait soigner la vitrine M6, jeune, branchée et popu à la fois.
Au final, cette saison, la victoire de Soan démontre le fiasco de l'entreprise. La grande favorite de la prod' et des médias était Camélia-Jordana. Une fille jeune, belle et dans l'air du temps : look geek chic officiel de 2009, voix à la Alela Diane, capable de reprendre à la fois des merdes variétoche style Renaud ou Carla Bruni, une chanson de la BO de Juno ou des tueries indépassables comme "Heart of glass" ou "Paint in black", avec à chaque fois une classe et une aisance sidérantes pour une gamine de 16 ans qui débarque de sa province. Camélia-Jordana aurait pu enfin redorer le blason de l'émission en étant pour une fois raccord avec ce qui est effectivement frais et excitant dans la musique pop contemporaine.
Seulement voilà, Camélia-Jordana a eu la malchance d'être une favorite un peu trop évidente. Le jury l'a un peu surexposée, ses allures de première de la classe, trop parfaite, trop consciente de ce qu'elle possède, a fini par agacer à la fois la ménagère et la gamine de 13 ans, cibles du programme.
M6 vient de rencontrer pour la première fois le même problème que TF1 lors des dernières Star Academy. A vouloir trop ratisser large en terme d'audience, et cette année M6 a battu tous les records, elle va devoir prendre en compte une donnée jusqu'alors inconnue : les goûts du grand public. Le vrai grand public, celui qui regarde "100% mag", les boîtes d'Arthur, "D&co", "La roue de la fortune". Les beaufs quoi. Les vrais gens.
Les gens, les vrais, pas les lecteurs de Télérama hein, mais plutôt ceux qui aiment Mimie Mathy et Valérie Damidot, ils se fichent éperdument des talents musicaux des artistes de télé-crochet. Ils votent pour des bonnes gueules, des candidats à l'air sympa, simples, ou au contraire, qui en font des tonnes, qui en foutent plein la vue. Ils veulent du spectacle. C'est la raison pour laquelle ils ont voté en masse pour Magalie Vaé (bonne gueule sympa) ou Cyril Cinelu (freak attachant) à la Starac. Est-ce qu'ils iront acheter leur disque quand il sortira dans les bacs ? Certainement pas, ils savent que ça sera de la soupe. L'aspect musical n'est qu'une infime partie de ce que les gens prennent en compte pour voter par SMS. Les gens savent aussi que les vrais artistes talentueux, de toute façon, seront signés à la sortie du jeu, même les perdants. C'est un truc un peu pervers, le syndrome Olivia Ruiz : combien de fois on a pu entendre "Elle au moins, elle a fait la Starac mais elle a su s'en détacher pour faire son truc à elle". Perdre devient un gage de qualité, on devient l'outsider, celui qui n'est pas poussé par l'industrie, donc forcément moins suspect que le gagnant.
Tous ces facteurs réunis ont fait que les petites ados et leur mère, cette année, ont voté pour un jeune traîne-savates vaguement goth et bizarre, qui chantait dans le métro des reprises de Noir Désir en s'époumonant d'une voix rocailleuse à faire flipper dans les chaumières. En gros, tout ce qu'on n'a absolument pas envie d'entendre dans la vie. Pourquoi ? Parce qu'un candidat à la Nouvelle Star, depuis que l'émission a vraiment du succès, doit davantage parler au vagin des téléspectatrices qu'à leurs oreilles.
Voilà l'impasse de l'émission : un jury qui a toujours souhaité tirer le programme vers le haut avec une certaine exigence musicale, mais qui se retrouve confronté à une audience qui a très bien compris son petit manège d'intelligentsia parisienne (on veut éduquer le petit peuple avec des reprises de Lou Reed et des Moldy Peaches) et veut en prendre le contrepied en votant pour des gens avec qui ils ont simplement envie d'être potes. Le soucis, c'est qu'aucune gamine de 16 ans n'a envie d'être l'amie de Camélia-Jordana. Elle leur foutrait trop la honte.