La ménagère de moins de 50 ans était peut être ravie (les chiffres d'audience le prouvent), mais moi, samedi soir devant TF1, je déprimais sec. D'abord parce qu'il y a sans doute mieux à faire que d'être vissé devant la télé un samedi soir de juillet, ensuite parce que la soirée "Génération 90" m'a rappelé de bien douloureux souvenirs.
Non, je n'ai pas aimé les années 90, je ne suis pas nostalgique de Lovin' Fun, de Corona, du grunge ou de mon adolescence en mode autiste. Dans les années 90, il n'y avait pas internet, j'étais boutonneux et mal habillé, et ce n'était pas comme aujourd'hui, où les ados n'ont plus aucune excuse pour ne pas être cool, avec tous les moyens mis à leur disposition, toutes les sources d'information et de divertissement. C'est même pas du jeu. Quand j'avais 15 ans, il n'y avait rien. Ou plutôt si, il y avait d'excellents groupes de rock. Mais la décennie 90 a été une époque terrible pour la pop music. Une époque où le genre était alors en plein déclin.
Bien sûr, l'émission de TF1 n'a pas aidé à raviver une flamme qui n'a jamais existé. Nikos et Liane Foly en maitres de cérémonie, ça ne pouvait donner que quelque chose de particulièrement foireux. La pauvre vieille Liane, au bord de l'étouffement en mode saucisson dans une robe en skaï immonde, s'essayait à de très approximatives imitations d'Elie Kakou entre deux prestations en playback de vieilles gloires au rabais.
Bien entendu, la programmation ne reflétait en rien l'effervescence musicale des 90s, puisque sur le plateau il n'y avait que les losers de l'époque (même si à ce moment-là ils vendaient énormément de disques, ils sont tombés dans l'oubli depuis). Hermes House Band, Carrapicho, Ophélie Winter, Yannick, ceux qui cachetonnent aujourd'hui en s'agrippant comme ils peuvent aux derniers relents de nostalgie de la fameuse ménagère et des gens de ma génération.
Car oui, je suis un peu le coeur de cible de cette "Génération 90". Mais à vrai dire, je n'ai pas de souvenir ému à l'évocation de la pop music de cette époque, tellement le genre était en pleine descente, rongé par le mercantilisme des maisons de disques et le cynisme des producteurs. Car les 90s sont responsables en grande partie du fameux "retour du rock" des années 00 et de la désaffection générale pour le genre pop. Pendant 10 ans, la pop était en mort clinique. Si l'on se penche sur les artistes de l'époque, on ne distingue aucune grosse star, aucune carrière qui se dessine. Pire, les mégastars des années 80 vivent très très mal le passage à la décennie suivante : Madonna ou Michael Jackson sucrent un peu les fraises, les autres ont déserté le navire depuis longtemps.
La cause de ce désert créatif ? La mise en place d'un système de "coups", comme on les appelait à l'époque : les majors du disque, pour s'assurer des revenus confortables (la crise n'existait pas, tout le monde s'en mettait plein les poches), tablaient sur des coups marketing : tubes de l'été sponsorisés, reprises de classiques disco en version eurodance, boys bands, compilations en pagaille, apparition des quotas et donc surproduction de tubes français rap et r&b commerciaux destinés à Skyrock et NRJ... Tout cela se vendait très bien, mais était artistiquement aussi anecdotique que possible. Le son était cheap, tout avait un goût de plastique et sentait la merguez. La pop, qui avait toujours été foncièrement un produit de supermarché, mais qui parfois savait faire preuve de classe et d'inventivité, était rabaissée à sa fonction première : écouler le stock.
Bien sûr, dans mon adolescence, j'adorais l'eurodance, qui était certes un genre ultra putassier mais qui avait au moins le mérite de produire des refrains susceptibles de me donner la dose d'endorphine nécessaire pour supporter l'acné, la solitude et la misère sexuelle. La franchise Dance Machine et ses produits dérivés Gala, 20 Fingers, Ice MC, Ace of Base, Masterboy et compagnie, m'ont permis de me sevrer de l'époque Stock Aitken Waterman en douceur, avant que je n'abandonne tout ça pour me plonger dans un genre rock essentiellement anglais, la britpop (voyez comme je suis toujours resté fidèle au qualificatif "pop"), puis le rock indé, l'électro... La fin des 90s était un soulagement : avec Björk, les Daft Punk, Prodigy, Blur, Pulp, Grandaddy, Garbage, les Smashing Pumpkins, Ash ou Bran Van 3000, il se passait enfin quelque chose d'un peu excitant musicalement.
Aujourd'hui, la pop est redevenue omniprésente et, comme on s'y attendait un peu, on arrive à un point de saturation qui ne devrait pas tarder à arriver, tant la production mainstream est calibrée au point que tout ressemble à du Lady Gaga : de Dizzee Rascal à Enrique Iglesias, tout le monde utilise le même moule electro-pop coolos qui a fait les beaux jours de 2009, année officielle du retour en grâce du genre. Plus dure sera la chute, plus rude la descente ? On verra. Reste que le rock indé, même s'il produit encore et toujours de chouettes choses, peine à redevenir l'alternative, devenu un gadget de plus dans le confort d'une chambre de hipster, entre un électrophone vintage, un hoodie American Apparel et un téléphone en forme de burger.