Après une décennie de clashs et de polémiques mettant à mal sa réputation de chaîne musicale cool, MTV se rachète une conduite en 2019, avec une cérémonie des VMAs sans bavures mais non sans saveur.
"C'est la cérémonie musicale de l'année" clamaient hier les bandes annonces de l'édition 2019 de MTV Video Music Awards. Sauf que ces dix dernières années, la musique servait le plus souvent de prétexte à créer des buzz montés de toutes pièces, à mettre en scène des empoignades, des petites phrases assassines ou des performances à la limite du bon goût.
Nos derniers souvenirs marquants des VMAs ? Le speech de Taylor Swift en 2009, interrompu par un Kanye West furieux qu'une récompense échappe à Beyoncé. Ou encore la séance de twerk un peu gênante de Miley Cyrus en 2013. Cette même Miley qui se fera tancer vertement par Nicki Minaj deux ans plus tard (le fameux "Miley what's good"), un beef dont on ne se rappelle même plus le pourquoi du comment.
Pendant toutes ces années, MTV a cru bon de scénariser ses cérémonies comme ses émissions de télé-réalité trash. Il fallait de la petite phrase, du drama, la scène des VMAs devait se transformer en arène, où les popstars (souvent féminines) devaient jouer leur carrière et leur réputation.
2019, soit 10 ans après l'envahissement de plateau de Kanye West, Taylor Swift est toujours là, plus puissante que jamais. Tout comme MTV, la chanteuse préférée de l'Amérique a traversé la décennie en créant autour d'elle tout un storytelling savamment orchestré. Son dernier album en date, Lover, fait suite à un disque très sombre (reputation), dans lequel elle explorait la part de solitude et de folie paranoïaque qu'implique la célébrité.
Cette année, Lover parle d'amour et de respect, et "You Need To Calm Down", son dernier clip, drague ouvertement la communauté LGBT+. Un virage politique et inclusif dans la carrière d'une artiste souvent critiquée pour ne jamais prendre position. Après Dark Taylor, voici Care Bear Taylor, romantique devant l'Eternel, amie des gays et des démocrates, qui lance des pétitions pour l'égalité des droits et s'affiche avec les queens de la RuPaul's Drag Race.
Hier soir, MTV invitait sur son plateau la crème des artistes pop du moment. Taylor, les Jonas Brothers, Camila Cabello, Shawn Mendes... Mais surtout, ce qui frappait lors de la cérémonie, était l'absence totale de petites phrases, d'engueulades et de scandales. A la place, une affiche des popstars féminines les plus cool et réjouissantes du moment.
Lizzo, qui en 2019 entre enfin dans le mainstream après des années d'underground à prôner l'acceptation de soi sur des titres soul et hip hop torrides et irrésistibles, a délivré une prestation impeccable de ses tubes US "Truth Hurts" et "Good As Hell". Haranguant la foule devant une énorme paire de fesses gonflables ("C'est tellement dur de s'aimer soi-même dans un monde qui ne vous aime pas en retour, pas vrai ?"), la prêtresse du body positive est désormais l'artiste la plus emblématique de son époque.
MTV, qui depuis quelques années a banni les genres des catégories de récompenses (finis les "best male" ou "best female"), a rendu hommage à la carrière de Missy Elliott, première rappeuse de l'histoire à jouer des coudes avec les plus grands noms (masculins) du hip hop. Mais la chaîne ne s'est pas contentée de regarder dans le rétro. S'ensuivirent les prestations de deux futures grandes de la pop urbaine : la catalane Rosalía et ses tubes hispanisants, et surtout Normani, rescapée des Fifth Harmony et désormais plus grand espoir du r'n'b mainstream outre-Atlantique.
Certes, Billie Eilish ou Ariana Grande étaient les grandes absentes de la soirée (elles ont quand même remporté quelques statuettes), mais MTV, en voulant surfer sur la mode de la pop féminine et inclusive, a redoré son image de chaine vieillissante et trash, et repris son rôle de passeur de pop culture. On se doute bien de l'opportunisme de l'affaire, mais on ne va pas bouder son plaisir : ça fait du bien, pour une fois, d'entendre de la bonne pop et de ne pas voir s'humilier en public nos artistes préférés.