Pour les fans de pop coréenne, il s'est passé quelque chose d'historique lors de l'édition 2017 des American Music Awards. Le boyband BTS a joué son dernier tube, "DNA", devant le grand public nord américain, faisant exploser, l'espace de plusieurs jours, les recherches Google avec cette urgente question : "who is BTS?". Car dimanche dernier, c'était la première fois qu'un groupe coréen venait performer sur la scène d'un award show aux Etats-Unis.
Bien sûr, la venue d'un groupe totalement inconnu d'une grande majorité des spectateurs de l'émission, a de quoi interroger. Mais il s'agit d'un risque calculé : la chaine ABC, dont les AMAs sont souvent raillés pour être la version ringarde, blanche, plouc et country d'autres cérémonies comme celles de MTV, voulait se racheter une crédibilité et une image cool. En invitant le groupe le plus suivi sur les réseaux sociaux mondiaux, elle s'assurait donc de créer l'évènement et de faire la différence, au milieu d'un calendrier musical croulant sous les award shows. Mais on sait que l'engouement international autour de la k-pop ne date pas d'avant hier, alors pourquoi maintenant, et pourquoi les BTS ?
BTS, le boyband au bon endroit au bon moment
Ils sont 7, ils ont tous autour de la vingtaine, ils ont des looks, des clips et des chorégraphies incroyables et ils sont plus beaux que le commun des mortels : en gros, ils sont comme TOUS les autres boybands qui ont marché ces 10 dernières années en Corée du Sud. Car la folie k-pop, en Asie du Sud-Est, ne s'est pas arrêtée quand tes collègues de bureau se sont lassés de se filmer en train de danser sur "Gangnam Style" de PSY. La machine à fric a continué à produire régulièrement de nouveaux groupes et de nouvelles émissions autour de leurs artistes. BTS, à leurs débuts, n'étaient que de jeunes garçons de plus, tentant de se faire un nom sur une petite agence de faible renommée : BigHit Entertainment.
Ils ont débuté en 2013, au moment où des girlbands comme 2NE1 ou les Girls' Generation tentaient de percer sur le territoire américain, sans succès. Aujourd'hui, les 2NE1 se sont séparées, la carrière de leur chanteuse CL aux US a été un fiasco sans nom, et une bonne partie des groupes qui cartonnaient au moment où les garçons de BTS s'entrainaient encore dans les locaux de leur agence, ont tout bonnement disparu de la circulation. Le turnover de la k-pop est sans pitié : tu marches, ou tu sombres immédiatement dans l'oubli. Les BTS se sont accrochés.
Authenticité et fanbase acharnée
BTS, pour un fan de k-pop ordinaire, n'est qu'un groupe, efficace, brillant et charismatique certes, mais un groupe de plus au milieu d'une offre pléthorique. Alors comment sont-ils parvenus à percer aux Etats-Unis, là où tant d'autres avant eux, parfois plus talentueux, ont échoué ? Pour répondre à cette question, il faut se pencher sur leur fanbase, les ARMY. Présents partout dans le monde et ultra actifs sur les réseaux sociaux, c'est grâce à leur mobilisation sans précédent sur le territoire américain que le dernier album des garçons, Love Yourself: Her s'est retrouvé propulsé à la 7ème place du Billboard dès sa sortie.
Les ARMY, ce sont 17 millions de followers sur Twitter ou près de 7 millions sur Instagram. A une époque où l'on mesure la popularité d'un groupe à ses performances sur les réseaux sociaux, les ARMY, avec leur nombre vertigineux, sont la meilleure vitrine du groupe pour attirer l'attention des médias mainstream.
En quoi se distinguent vraiment les 7 garçons de BTS pour que leur fanbase fasse autant de bruit ? Leurs chansons, si elles sont aussi pétaradantes et surproduites que la majorité de la k-pop, ont un petit quelque chose en plus. Avec ses trois rappeurs et leur participation active à l'écriture des morceaux, les titres de BTS s'intéressent à des thèmes contemporains comme la santé mentale, le harcèlement ou le rejet des normes de la société : BTS est un groupe de jeunes qui s'adresse à la jeunesse, sur des sujets parfois plus rentre-dedans que les habituelles love songs rose bonbon de leurs collègues. Un boyband plus authentique que la moyenne ?
Kermesse k-pop importée à la télé US
Sauf que la nuée de tubes du groupe ("Run", "Fire", "Blood Sweat & Tears", "DNA") n'est que la bande-son actuelle des rues de Séoul, un mélange de rap, de r'n'b, de drops électroniques et de mélodies ultra sucrées : rien de nouveau sous le soleil donc. Et ce qu'on a vu aux AMAs ce dimanche n'est pas plus impressionnant que ce qu'on peut voir quotidiennement dans les shows coréens comme l'Inkigayo, le Music Bank ou le M Countdown : une chorégraphie réglée au millimètre, un sex appeal alarmant, mais tous les fans de k-pop connaissent les recettes par coeur.
Et c'est justement parce que leur fanbase américaine est totalement imprégnée de la pop culture coréenne avec tous ses codes, qu'on a pu entendre sur la scène des AMAs l'une des spécificités des shows séoulites : les "fan chants". Au début de leur prestation, on peut entendre le public hurler le nom de chaque membre du groupe dans un ordre bien précis, au rythme de l'intro du morceau. Les fan chants permettent aux fans de s'impliquer durant les passages télé, scandant les paroles des chansons à des moments clés, chorégraphiés à l'avance par le groupe ou la maison de disques. En gros, quand tu regardes une émission coréenne, plus tu entends le public chanter fort et de manière coordonnée, plus tu peux mesurer la popularité du groupe.
En voyant les fans américains appliquer scrupuleusement cette tradition typiquement coréenne, on peut avoir cette certitude : la k-pop plait au public occidental principalement parce qu'elle a des codes et des rites totalement différents de notre propre culture, et c'est ce qui fait sa spécificité et son principal atout charme (outre le fait que les gars sont beaux comme des dieux).
Pendant des années, les grosses machines coréennes comme la SM Entertainment, JYP Entertainment ou YG Entertainment ont tenté d'américaniser leurs artistes pour qu'ils puissent plaire aux occidentaux. On comprend, avec le succès de BTS, pourquoi elles ont fait fausse route : la pop coréenne plait parce qu'elle est une alternative séduisante, fun et exotique à notre propre paysage musical. L'entrée de BTS dans les foyers US tord donc le cou à cette idée reçue selon laquelle les américains n'aimeraient que leurs produits locaux. On voit bien aujourd'hui avec le succès d'un boyband coréen, qui chante en coréen et déploie un univers visuel et culturel 100% coréen, que le grand public possède encore cette qualité rare à l'heure des algorithmes et du tout marketing : la curiosité.