"Un autre que moi" est la chanson la plus inclassable du moment. Lorsque je l'ai entendue pour la première fois, je pensais écouter un titre sorti il y a 30 ans par une starlette de variétés incroyablement douée, qui aurait beaucoup trop écouté Rose Laurens. Vous savez, l'un de ces trésors cachés des eighties tombés dans l'oubli, injustement boudé par les playlists de Radio Nostalgie. Pourtant, la chanteuse s'appelle Flora Fischbach, elle a 25 ans, et son premier album est sorti en ce début d'année.
Fishbach est une curiosité, avec ses textes et sa voix graves, à la grandiloquence assumée, plaqués sur des sonorités comme échappées d'un transistor Blaupunkt des années 80. Dans son album A ta merci, on retrouve toutes les choses les plus effrayantes et excitantes de la décennie pop et plastoc : des ambiances à la Mylène Farmer, de la basse slappée comme sur les derniers Gainsbourg période chant du cygne, du clavecin et des synthés en surchauffe, du disco un peu patraque, de la cold wave qui glace les sangs, et une certaine idée du romantisme de cette époque : noir et clinquant.
"Un autre que moi" n'est pas le seul tube de cet album ("Y crois-tu" et "Le meilleur de la fête" sont deux énormes claques émotionnelles). Car il s'agit bien ici de tubes, avec de vrais refrains qui ne s'excusent pas, des mélodies qui vous hantent et qui auraient fait pleurer la bande FM si elles avaient existé la même année que "Voyage Voyage" de Desireless. Fishbach semble avoir retrouvé une recette oubliée, celle d'une pop française classe, populaire et inclusive, qui n'a pas peur de mélanger le goth et la variète, Christophe et Jeanne Mas, Rimbaud et Marc Toesca.