Le clip de "Bitch I'm Madonna", c'est avant tout une succession de mauvais choix, au mauvais moment. On ne va pas revenir là dessus : dévoiler un teaser au casting rutilant quelques semaines après la campagne de Taylor Swift pour le blockbuster "Bad Blood", en utilisant les mêmes codes visuels, c'était déjà tendre le bâton pour se faire battre. Annoncer Beyoncé, Kanye West, Nicki Minaj (qui n'ont pas pu dire non à leur copine de naufrage de chez TIDAL), Katy Perry et Miley Cyrus au générique, pour les retrouver incrustés à la hâte sur fond vert à la fin de la vidéo, ça fait peine. La seule chanteuse qui n'avait pas piscine ce jour-là était Rita Ora, ce qui ajoute à la tristesse de la chose. Oui, le clip est un peu gênant dans son exécution, d'autant que sa prestation chez Jimmy Fallon quelques semaines auparavant, qui reprenait déjà les idées du clip, compensait en idées fun et en énergie ce que ce clip perd en tentant maladroitement la carte du "clickbait".
Que voit-on dans cette nouvelle vidéo de Madonna ? Une femme de 56 ans qui mime la fête d'une certaine jeunesse dorée en total look Moschino. Roulant des galoches à chaque mannequin garçon ou fille de l'assemblée, dansant le twerk avec ses enfants adolescents, distribuant les high five à tout ce que la planète fashion compte de gens qui comptent. Et, forcément, déclenchant un torrent de haine sur les réseaux sociaux ("doing a line of coke after hanging out with some cursing children, stupid bitch should be in a retirement home playing bingo"). On le sait, Madonna a bâti sa carrière sur une liste, longue comme le bras, de provocations en tous genres. Son dernier dada : combattre l'idée reçue, sexiste mais totalement ancrée dans l'inconscient collectif, selon laquelle les femmes de son âge ne devraient plus faire étalage de leur sexualité.
Mais sur cette vidéo, le délire va plus loin qu'un simple coup de pied dans les couilles du patriarcat. Madonna a décidé, non seulement d'ignorer le slut shaming, mais aussi de se débarrasser de cette dernière entrave à sa liberté individuelle, brisant par la même occasion le dernier tabou pop : la reine ne veut plus se soumettre à l'injonction du cool. Avec son compte Instagram plus régressif que l'agenda d'une collégienne, Madge avait donné des signes avant-coureurs. C'est comme si celle qui avait lancé toutes les tendances, devancé toutes les envies du grand public, s'était enfermée dans une bulle délirante, perdue dans une réalité "YOLO", dans une version OTT de la quête de la jeunesse éternelle. "Bitch I'm Madonna", produit par Diplo et Sophie, est une énorme bizarrerie, furieusement dans l'air du temps mais aussi totalement incohérente. Et c'est ce que Madonna est devenue en 2015.
Fascinée, obsédée, définitivement happée par la culture pop de ses propres enfants, Madonna a une démarche sincère, celle de vouloir vivre pour toujours dans cette bamboche badass et ultra sexuée, dans un grand bordel ridicule où même à 56 ans, on danserait toute la nuit sur O.T. Genasis, Major Lazer ou les dernières tueries de chez PC Music, en buvant du rosé dans des red cups, pris en sandwich entre Aya Sato, Bambi et Sock Bitch, son bonnet SSUR enfoncé jusqu'aux yeux, pendant que Rocco filmerait le tout sur Periscope. Madonna, qui a perdu la guerre des charts, a décidé, sans doute inconsciemment, qu'elle n'en avait plus rien à foutre du monde extérieur, et qu'elle n'avait plus du tout ni le courage ni la patience de tenter de gérer son image publique. Elle se fiche de savoir si vous la jugez current, ni même de savoir si ce qu'elle fait a encore un sens. She's living life to the fullest, peut être avec une furieuse énergie du désespoir qui nous laisse un peu perplexe... mais demandez-vous si à 56 ans vous préfèreriez être Madonna ou à la retraite en train de sucrer les fraises... ? Voilà.