Trois ans se sont écoulés depuis la sortie du premier album de Years & Years, Communion. Grâce au succès énorme du single "King", le groupe britannique est passé de petite sensation indé sympa à un véritable phénomène pop. Et son leader Olly Alexander a bien grandi. En quelques années, le jeune chanteur un peu socially awkward est devenu l'une des icônes queer les plus influentes de sa génération. Qu'est-ce qui arrive lorsqu'on donne du pouvoir (et beaucoup d'argent) à des artistes aux idées foisonnantes qui ont envie de conquérir le monde avec leur musique ? Ca donne le clip de "Sanctify", leur tout nouveau single.
L'image
La vidéo à gros budget de "Sanctify" nous emmène dans un futur dystopique (vous avez remarqué qu'il n'y a que pendant les campagnes présidentielles que le futur n'est pas dystopique ?). Dans une mégapole imaginaire nommée Palo Santo, les humains sont devenus une espèce rare, et sont régulièrement capturés afin de divertir une population d'androïdes qui tirent salement la tronche.
Olly est l'un de ces humains, maintenu captif par un énorme choker plaqué or (qui rendra fou les adeptes de BDSM chic). Il est présenté à une assemblée de convives mystérieux, et leur offre un spectacle de danse aussi lascif que provocateur. On constatera que les talents scéniques du chanteur ont bien évolué depuis les petits pas de danse timides et maladroits de ses premiers concerts. Depuis, Olly Alexander est devenu un corps fluide aux mouvements précis, fougueux et altiers.
Le clip, visiblement tourné en Thaïlande, n'est que le premier chapitre de ce qui ressemble déjà à un blockbuster pop. "C'est la première pièce d'un puzzle beaucoup plus grand, et j'espère que les gens qui le verront seront à la fois totalement paumés, mais aussi excités par le mystère et la sensualité qu'il dégage."
Car Olly Alexander n'est pas devenu une icône gay simplement grâce à sa petite gueule de minou ultra sexué (bien que ça aide). Aujourd'hui, être une popstar demande des efforts : il faut surprendre visuellement, raconter des histoires, développer un univers fait de sang et de paillettes, de bruit et de fureur, d'euphorie et de larmes. Difficile de passer après Lady Gaga, Beyoncé, Rihanna ou les queens de la Drag Race. Mais Olly n'a rien à leur envier. "Le fantasme, l'évasion, c'est ce que j'ai toujours aimé le plus dans la pop music. Donc je me suis dit que je devais m'efforcer d'être la popstar que j'ai envie de voir exister dans ce monde, et faire les choses les plus ambitieuses, les plus bizarres et les plus sexy qui soient". Mission accomplie.
Le son
"Sanctify" est donc le premier single d'un nouvel album qui devrait vraisemblablement arriver cet été. On est sur un mélange surprenant entre une dark pop sophistiquée et des influences clairement teen pop du début des années 2000. Hier, au micro de Zane Lowe, il décrivait le titre comme "du Britney période Slave 4U, un peu de Timbaland, de Neptunes, simplement parce que c'est ce que j'aime le plus écouter". Ca tombe plutôt bien, nous aussi.
En revanche, difficile (pour l'instant ?) de faire un lien entre le clip chelou qui en met plein les yeux, et le thème de "Sanctify". Il y est question d'une quête d'identité, plus précisément d'identité sexuelle. Car on ne va pas se mentir, ce que raconte le titre, c'est un plan cul avec un mec hétéro qui ne s'assume pas. Olly invite son partenaire à retirer son masque de "masc" et à assumer ses désirs ("You don’t have to be straight with me, I see what’s underneath your mask").
Une histoire personnelle vécue par Olly, et racontée à travers le prisme du religieux et du sacré (en gros, ils ont tout piqué à Madonna). Dans le magazine Nylon, il s'explique sur l'utilisation de cette imagerie : "Je me sens à la fois comme un saint et un pêcheur, un ange et un démon, en guidant mon partenaire vers le chemin du pêché, tout en l'aidant à explorer sa sexualité". "Pour moi, être gay est une bénédiction. Je voulais que ça ressorte dans cette chanson".
Les couleurs
"Sanctify" est donc le titre d'un artiste, Olly Alexander, et d'un groupe, Years & Years, à leur apogée créative. C'est surtout l'histoire d'un leader qui a épousé son époque, celle de la fluidité des genres (musicaux et sexuels), et de la libération de la parole et de la fierté LGBT. Militant décomplexé, attachant et surtout pertinent (voir son documentaire Olly Alexander : Growing Up Gay), Olly fait partie de cette poignée de popstars (comme Troye Sivan ou Hayley Kiyoko) qui font avancer la pop, en l'utilisant comme vecteur de visibilité et d'affirmation de soi. Finis les sous-entendus foireux, les pronoms neutres et la pudibonderie pour ne pas s'aliéner le public hétéro. Le succès phénoménal du groupe prouve bien qu'une nouvelle génération, plus fabuleuse et enragée que jamais, attend la pop culture en embuscade.